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Concurrence déloyale

La promotion de formations au trading en ligne de cryptoactifs

Qu’est-ce que Kim Kardashian, Nabilla et le Tribunal fédéral pourraient avoir en commun ? Pas grand-chose a priori. Cependant, la promotion de formations au trading en ligne et de cryptoactifs concerne les trois. Les deux premières ont été condamnées à des amendes, l’une pour avoir fait la promotion d’un site internet offrant des formations au trading en ligne, l’autre pour la promotion d’un cryptoactif. Toutes deux n’ont pas informé leurs abonnés qu’elles étaient rémunérées pour leur publication par les entreprises en question. Pour sa part, le Tribunal fédéral s’est récemment penché sur un cas similaire dans l’arrêt 6B_538/2022.

En avril 2018, Émilie – domiciliée dans le canton de Thurgovie – s’est inscrite sur la plateforme de la société étrangère B. Inc. Cette plateforme propose la vente de formations pour le commerce de devises et cryptomonnaies. Les membres de cette formation peuvent également se lancer dans la commercialisation des produits et être rémunérés selon un plan interne de rémunération en recrutant de nouveaux membres. Afin de participer à ce plan, Émilie fait de la publicité auprès de différentes personnes, dont Marc. Ce dernier dénonce le cas au SECO.

Par la suite, le SECO dépose une plainte pénale contre Émilie auprès du Ministère public du canton de Thurgovie. Il lui reproche notamment d’avoir participé à un système pyramidal et d’avoir fourni des informations inexactes et trompeuses.

Suite à l’opposition de l’ordonnance pénale du Ministère public, le Bezirksgericht condamne Émilie à une peine pécuniaire avec sursis et à une amende pour violation à la loi contre la concurrence déloyale (LCD). Cependant, sur appel, l’Obergericht du canton de Thurgovie l’acquitte. Selon le tribunal thurgovien, les éléments objectifs de l’art. 3 al. 1 let. b LCD ne sont pas remplis. Par ailleurs, la question de savoir si l’on est en présence d’un système de boule de neige illicite est laissée ouverte. De surcroît, il conclut que les éléments subjectifs de l’infraction ne sont pas réunis.

Saisi par le Ministère public de la Confédération (MPC), le Tribunal fédéral commence par rappeler que l’art. 23 LCD condamne pénalement toute personne qui se rend coupable de concurrence déloyale, notamment au sens de l’art. 3 LCD. Est considéré comme pratique déloyale le fait de donner des indications inexactes ou fallacieuses notamment sur soi-même, son entreprise, ses marchandises ou encore ses méthodes de vente ou qui, par de telles allégations, avantage des tiers sur leurs concurrents (art. 3 al. 1 let. b LCD). La pratique visant notamment à distribuer des primes ou à accorder des prestations qui dépendent du recrutement d’autres personnes par l’acquéreur plutôt que de la vente ou de l’utilisation des marchandises ou prestations, est également considérée comme déloyale (art. 3 al. 1 let. r LCD). L’auteur doit agir intentionnellement au sens de l’art. 12 CP. Par la suite, le Tribunal fédéral mentionne l’erreur sur les faits (art. 13 CP) et l’erreur sur l’illicéité (art. 21 CP). Cette dernière est exclue lorsque l’auteur sait – sur la base de son appréciation – que son comportement est contraire à l’ordre juridique. Dans le cas où l’auteur se doutait ou aurait dû se douter de la légalité de son action ou s’il sait qu’une règlementation existe, mais qu’il ne s’informe pas suffisamment, l’erreur est considérée comme évitable. Savoir si l’erreur était évitable est une question de droit, tandis que savoir si l’auteur savait que son comportement était contraire à l’ordre juridique est une question de fait.

En l’espèce, les participants au programme auraient été préparés de manière ciblée à des discussions sur la légalité du modèle d’affaires. Un avis de droit d’une étude d’avocats aurait d’ailleurs été diffusé parmi les participants. En conséquence, l’Obergericht a retenu une erreur sur les faits d’Émilie. À cela s’ajoute qu’elle partait du principe que le modèle d’affaires était durable économiquement, car des produits concurrents existaient, et que les rémunérations étaient versées comme dans un système de commission. Ainsi, la conscience d’Émilie ne s’est pas étendue à tous les éléments objectifs de l’infraction. N’ayant pas pleine conscience et volonté de participer à un système pyramidal, l’intention faisait défaut au moment des faits. Or, le MPC n’explique pas en quoi l’appréciation des faits par l’Obergericht était insoutenable sous l’angle de l’arbitraire. En effet, il se limite à soutenir de quelle manière les autres moyens de preuve auraient dû être appréciés par l’Obergericht. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Cet arrêt met en évidence une pratique commerciale qui s’est passablement répandue sur les réseaux sociaux, en particulier avec l’avènement des finfluencers. Les pratiques varient, mais l’idée générale est, d’une part, de vendre des formations et, d’autre part, de former une communauté qui promeut sur les réseaux sociaux aussi bien les formations que certains cryptoactifs. Ce dernier point peut mener à des pratiques de pump-and-dump ou de diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur les réseaux sociaux. Les autorités étrangères mettent en garde contre ces risques à l’image de l’Autorité française des marchés financiers.

En conclusion, une chose est de participer à un système pyramidal, l’autre est d’en avoir conscience. Comme le démontre cet arrêt, les participants n’ont pas forcément connaissance du fait qu’ils prennent part à un tel système. Mais, qui est à blâmer ? Le particulier participant, ou la société bénéficiaire ? Dans les deux cas, la question de l’intention est incontournable. En outre, ces pratiques commerciales sont généralement mises en place par des sociétés étrangères, au travers des réseaux sociaux. Ces aspects compliquent la poursuite pénale à l’égard de la société.