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Reporting en matière de durabilité

Quel impact de la CSRD pour les entreprises suisses ?

Le 28 novembre 2022, le Conseil de l’Union européenne a approuvé la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (Corporate Sustainability Reporting Directive « CSRD »). Quelle est cette directive et dans quelle mesure les entreprises suisses – dont les banques et établissements financiers – sont-elles concernées ?

La CSRD vient remplacer la directive adoptée en 2014 sur la publication d’informations non financières (Non Financial Reporting Directive « NFRD »). Cette nouvelle directive apporte un lot important de nouveautés. Ce commentaire se cantonne à un exposé succinct de la CSRD, avec un regard particulier sur sa portée extraterritoriale.

I. Le champ des entreprises (européennes) assujetties

La CSRD s’appliquera aux entreprises (sises dans l’UE) suivantes :

  • Les entreprises actuellement soumises à la NFRD, soit les entités d’intérêt public de plus de 500 salariés (art. 2 par. 1 let. f de la directive comptable 2013/34/UE) ;
  • Les entreprises réunissant deux des trois critères suivants : 20 millions de bilan, 40 millions de chiffre d’affaires et/ou 250 salariés (qualifiées de « grandes entreprises » ; art. 19a par. 1 CSRD et 3 par. 4 de la directive comptable 2013/34/UE). Ces « grandes entreprises » seront soumises à la CSRD qu’elles soient cotées ou non sur un marché réglementé dans l’UE.
  • Les entreprises (i) dont les titres sont cotés sur un marché réglementé dans l’UE et (ii) réunissant deux des trois critères suivants : 4 millions de bilan, 8 millions de chiffre d’affaires et/ou 50 salariés (qualifiées de « PME cotées » ; art. 19a par. 1 CSRD et 3 par. 2 et 3 de la directive comptable). Les PME non cotées ne sont quant à elles pas soumises à la CSRD.

En comparaison avec la NFRD, la CSRD élargit notablement le champ des entreprises soumises au reporting en matière de durabilité ; celui-ci passera à 50’000 entreprises concernées contre 11’000 actuellement.

II. Quelles informations devront être divulguées ?

Au premier regard, on pourrait penser que la CSRD n’apporte que peu de changement en termes de contenu des informations devant être divulguées. Celles-ci se rapportent en effet toujours aux trois facteurs désormais bien connus (environnementaux, sociaux et de gouvernance ; cf. art. 19ter par. 2 CSRD).

La CSRD introduit toutefois de nouvelles normes détaillées et harmonisées au niveau européen. Ces standards de reporting sont en cours d’élaboration par le Groupe consultatif pour l’information financière en Europe (EFRAG) qui a remis son premier paquet de standards le 15 novembre dernier. Leur publication définitive est prévue pour juin 2023. En parallèle, l’EFRAG travaille sur des standards sectoriels couvrant les secteurs dits « sensibles ». Des standards allégés pour les PME couvertes sont également attendus.

III. À partir de quand ?

Compte tenu de la complexité des obligations de déclaration, une mise en œuvre échelonnée est prévue (art. 5 CSRD) :

  • Exercices financiers commençant à partir du 1er janvier 2024 : application aux « grandes entreprises » de plus de 500 salariés et aux entités d’intérêt public déjà soumises à la NFRD ;
  • Exercices financiers commençant à partir du 1er janvier 2025 : application aux « grandes entreprises » ;
  • Exercices financiers commençant à partir du 1er janvier 2026 : application aux PME cotées, étant précisé qu’elles pourront décider d’un opting-out transitoire et être exclues du champ d’application de la directive jusqu’en 2028 ;
  • Exercices financiers commençant à partir du 1er janvier 2028 : applications aux entités non européennes.

IV. L’application extraterritoriale

A partir d’un certain seuil, les entreprises non européennes ayant des activités importantes à l’intérieur de l’UE ont été ajoutées au champ d’application de la CSRD. Les critères d’inclusion de ces entreprises non européennes sont les suivants (art. 40a CSRD) :

  • Un chiffre d’affaires (au niveau du groupe) de 150 millions d’euros ou plus dans la zone européenne pour chacun des deux derniers exercices consécutifs ; et
  • Une filiale au sein de l’UE (qui remplisse les seuils d’une « grande entreprise » ou qui soit une PME cotée) ou une succursale dont le chiffre d’affaires dans l’UE est égal ou supérieur à 40 millions.

Afin d’éviter une double divulgation, les filiales ou succursales d’une entreprise mère non européenne pourront être exemptées de l’obligation de reporting sous certaines conditions. Il faut notamment que le rapport en matière de durabilité de l’entreprise mère non européenne soit soumis à des normes considérées comme équivalentes aux standards de la CSRD (art. 40a par. 2 CSRD).

Qu’est-ce que cela signifie pour les entreprises suisses ? Les filiales ou succursales d’entreprises suisses remplissant les seuils susmentionnés seront pleinement soumises aux obligations de reporting de la CSRD. Il est néanmoins difficile d’estimer le nombre de concernées ; il n’existe en effet pas de données publiques sur le chiffre d’affaires net réalisé par les entreprises suisses au sein de l’UE. Selon un récent rapport de l’Office fédéral de la justice, l’essentiel des entreprises helvétiques assujetties à la CSRD sera déjà soumis aux règles suisses (art. 964a à 964c CO). Le cas échéant, ces entreprises pourraient-elles être libérées de leur obligation au motif que leur entreprise mère publie déjà un rapport en vertu des art. 964a à 964c CO ? Il faudrait pour cela que les règles suisses soient considérées comme étant équivalentes aux normes de la CSRD. Pour l’heure une telle équivalence demeure incertaine, mais paraît compromise vu les différences majeures entre les deux régimes.

Quid des PME suisses ? Vu les seuils fixés, le rapport susmentionné de l’OFJ relève que très peu de PME suisses devraient être directement assujetties à la CSRD. Cela étant, elles pourraient être indirectement touchées en tant que sous-traitants des entreprises européennes assujetties à la CSRD. Ces dernières devront en effet divulguer des informations sur l’ensemble de leur chaîne de valeur et réclameront ces informations à leurs sous-traitants suisses.

La CSRD sera donc directement applicable aux entreprises suisses ayant des activités importantes à l’intérieur de l’UE. L’implication « indirecte » de la CSRD sur les sous-traitants suisses des entreprises européennes ne doit pas être ignorée non plus. Cette directive appuie l’impulsion initiée par l’UE en faveur de la gouvernance durable des entreprises. Poursuivant dans cette lancée, le Conseil de l’UE a adopté le 1er décembre dernier sa position sur la directive sur le devoir de vigilance des entreprises (CSDDD).