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Too big to fail

Des innovations à profusion dans le sauvetage de Credit Suisse

Les mesures adoptées par le Conseil fédéral pour assurer la reprise de Credit Suisse par UBS représentent un changement important d’approche par rapport aux principes qui ont guidé la réglementation des banques d’importance systémique après la crise financière de 2008. L’ampleur de ces changements est à la mesure de la nouvelle crise que les autorités cherchent à conjurer. Elle est d’autant plus étonnante que, malgré la liste interminable des défaillances de Credit Suisse révélées au cours des dernières années, la FINMA et la Banque nationale confirmaient le 15 mars encore la présence de fonds propres suffisants et renforçaient les liquidités disponibles. Cela n’a pas suffi à rassurer les clients et les investisseurs de la banque.

Nous analysons dans ce bref commentaire l’ordonnance du Conseil fédéral du 16 mars 2023, telle que modifiée le 19 mars, sous l’angle de son écart par rapport aux principes qui guidaient jusqu’à présent la réglementation des banques d’importance systémique.

Les groupes UBS et Credit Suisse ont été restructurés il y a quelques années pour créer deux banques suisses regroupant les fonctions d’importance systémique (dépôts du public, trafic des paiements…) dans un espace protégé des vicissitudes internationales. Les deux banques sont profitables. Comme ces mesures visaient à le permettre, Credit Suisse (Suisse) SA aurait pu être sauvé par ses propres moyens, moyennant le sacrifice probable du reste du groupe. Mais l’impact d’une telle résolution à Londres, à New York et sur le système financier global était un prix trop élevé pour la réputation de la Suisse et de sa place financière. On saura vraisemblablement bien plus tard l’intensité des enjeux et des pressions auxquels le Conseil fédéral, la BNS et la FINMA ont répondu. Manifestement, ceux-ci ne permettaient pas de sauver la banque suisse en laissant partir à l’encan le reste du groupe.

Dimanche soir, en même temps qu’une conférence de presse où les autorités étaient assises à la même table que les présidents des conseils d’administration des deux banques, la publication au Recueil officiel d’une ordonnance secrètement entrée en vigueur jeudi dernier et hâtivement révisée dimanche donne la mesure des changements de cap.

Contrairement au principe énoncé par Walter Bagehot à la fin du XIXe siècle selon lequel, dans son rôle de prêteuse de dernier ressort, une banque centrale ne fournit des prêts de trésorerie qu’à une banque solvable et contre des sûretés complètes, cette ordonnance introduit des prêts extraordinaires de la BNS, des prêts supplémentaires garantis par un nouveau privilège de faillite en classe « 2b » (art. 3), et même des prêts de la BNS assortis d’une garantie de défaillance de la Confédération, colloqués en classe « 2c » et rémunérés par diverses primes reflétant la double prise de risque de la BNS et de la Confédération (art. 4). Comme ce dernier instrument met potentiellement en jeu l’argent du contribuable, il nécessite une autorisation budgétaire urgente, accordée dimanche par la délégation des finances de l’Assemblée fédérale. Lors de la conférence de presse et dans le commentaire de l’ordonnance, le Conseil fédéral présente ce nouveau dispositif de public liquidity backstop, envisagé en mars 2022, mais créé ad hoc, comme un outil déjà utilisé ailleurs. Cela n’ôte rien au caractère radicalement nouveau de l’instrument, dont l’évaluation reste à faire.

En outre, sur la base d’un art. 14a, « Garantie contre les pertes », rédigé dans l’urgence après l’adoption de la première version de son ordonnance, le Conseil fédéral accepte de garantir un deuxième risque de CHF 9 milliards sur un portefeuille d’actifs de valeur incertaine, dont UBS supporte le premier risque à hauteur de CHF 5 milliards. Cet instrument aussi est innovateur et il a le mérite d’être ciblé. Là encore, une autorisation budgétaire urgente était nécessaire et a été accordée.

Comment enfin réaliser une fusion, qu’UBS paiera aux actionnaires de Credit Suisse avec ses propres actions, sur laquelle les deux assemblées générales auraient normalement dû se prononcer, selon un calendrier incompatible avec le sauvetage en cours, et qu’elles auraient pu faire échouer ? C’est un art. 10a, introduit dimanche en toute hâte, qui livre la solution. La fusion est décidée par les deux conseils d’administration ; l’accord de la FINMA remplace celui des deux assemblées générales.

Notre propos n’est pas de critiquer les décisions prises entre le 16 et le 19 mars 2023, mais de mesurer combien elles s’écartent des buts mêmes de l’immense chantier de réforme des banques too-big-to-fail entrepris par la Suisse après 2008. L’un des buts annoncés était, “le cas échéant, que les banques d’importance systémique puissent être éliminées du marché, moyennant cependant le maintien de leurs fonctions systémiques sans l’aide de l’État” (FF 2011 4405).  Les crises se développent toujours autrement que les plans que l’on avait faits pour s’y préparer. Celle-ci met en évidence des enjeux d’interconnexion et de réputation internationales que l’on avait sous-estimés.