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Reddition de compte

Pas d’accès au dossier par la voie de l’intervention

L’arrêt du Tribunal fédéral 4A_263/2022 du 23 juin 2023 rejette la demande d’intervention accessoire des héritiers d’un client, dont les avoirs auraient été détournés, dans une procédure pendante entre la banque et l’actuel détenteur desdits avoirs. Le Tribunal fédéral considère qu’il s’agit d’une utilisation détournée d’un outil procédural pour exercer un droit à la reddition de compte, relevant du droit matériel.

E., décédé en 2014, était titulaire d’un compte auprès de la banque B. SA à Genève. Son neveu F. bénéficiait d’une procuration sur ce compte. F. a transféré des avoirs de E. sur plusieurs comptes au sein de la banque, pour aboutir à celui de la société de droit panaméen A. SA, dont l’ayant droit économique est G., la mère de F.

Les héritiers de feu E., soit sa veuve D. et leur fils C., allèguent que F. a détourné à son profit les biens de E., lésant ainsi leur réserve héréditaire. F. prétend pour sa part être un héritier institué. Le fils, la veuve et le neveu s’opposent dans plusieurs procédures civiles parallèles.

F. et G. ont souhaité dissoudre A. SA et transférer les fonds détenus par cette société sur un nouveau compte au nom de G. La banque a refusé de donner suite aux instructions d’A. SA, faute d’informations suffisantes sur l’origine des fonds et la véritable titularité de ceux-ci. A. SA a fait notifier un commandement de payer à la banque puis requis la mainlevée de l’opposition. La mainlevée, initialement accordée, a été rejetée par le Tribunal fédéral.

Entretemps, la banque avait ouvert une action en libération de dette. Le fils et la veuve ont formé une requête en intervention accessoire, afin d’agir aux côtés de la banque et de prendre connaissance du dossier. Cette requête a été admise par les deux instances cantonales, ce qui conduit A. SA à recourir au Tribunal fédéral.

L’intervention aurait pour corollaire la divulgation de pièces bancaires produites au dossier, qui serait ensuite à la libre disposition du fils et de la veuve. Une telle connaissance des pièces est par nature irréversible, et le Tribunal fédéral reconnaît l’existence d’un préjudice irréparable, condition nécessaire à la recevabilité du recours.

Sur le fond, le Tribunal fédéral constate que le but de l’intervention n’est pas tant de voir les fonds bloqués en attendant des clarifications sur leur obtention que d’accéder aux pièces produites. Or, un tel accès relève selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral du droit matériel (reddition de compte au sens de l’art. 400 CO) et non du droit procédural. Les voies procédurales des mesures provisionnelles et de la preuve à futur ont déjà été jugées inappropriées, car elles reviennent à trancher le fond du litige sans examen complet.

Le même sort doit être réservé à l’accès par une requête d’intervention. Le juge se limitant à la vraisemblance, l’examen est insuffisant pour statuer sur une prétention de droit matériel.

Le Tribunal fédéral admet donc le recours, et déclare la requête d’intervention accessoire irrecevable.

Dans un précédent commentaire, nous avions exposé que la recherche d’informations auprès des banques forçait les justiciables à se montrer créatifs, faute d’outils spécifiques. Intervenir dans un litige pour récupérer les informations en est un bon exemple, même s’il n’a finalement pas été couronné de succès.

À rigueur de texte, une intervention accessoire ne nécessite qu’un intérêt juridique vraisemblable à ce que le litige soit tranché dans un sens plutôt qu’un autre (art. 74 CPC). L’accès au dossier n’est pas spécifiquement prévu, l’art. 76 CPC se bornant à indiquer que « [l]’intervenant peut accomplir tous les actes de procédure compatibles avec l’état du procès qui sont utiles à la partie principale dont il soutient la cause […] », consulter le dossier pourrait en faire partie.

Toutefois, les intervenants ont un intérêt économique certain, mais un intérêt juridique discutable, à ce que les fonds demeurent dans les livres de la banque. En effet, si la banque devait violer ses obligations en remettant les fonds à A. SA, ils pourraient ouvrir action contre elle. La voie de l’intervention accessoire est donc d’une recevabilité douteuse.

En soi, le raisonnement aurait pu s’arrêter là. Toutefois, le but réel des héritiers, accéder aux pièces pour alimenter leur propre procédure, est trop apparent pour que le Tribunal fédéral laisse le doute planer sur l’admissibilité de la méthode. Il prend donc le soin d’enterrer sans équivoque la voie de l’intervention accessoire pour l’accès aux pièces.

La barrière dressée entre droit matériel et droit procédural est donc sauve pour l’heure. Mais la créativité suscite toujours la créativité, et d’autres outils existent : dénonciation d’instance, appel en cause ou substitution de partie (qui nécessitent certes un rôle actif de la banque défenderesse), ou une simple jonction de causes. Sauf alors à admettre que ces outils sont inapplicables – et donc que le mandat relève d’un droit procédural d’exception – ou à violer le droit d’être entendu, une transmission des documents de la procédure semble inéluctable.

Reste enfin un bref obiter dictum (trois lignes) en fin de considérant 4.2.3. Le Tribunal fédéral relève que la banque a pris « mesure conservatoire de blocage (privé) du compte bancaire », qui relève d’un abus de droit. Faute de connaître l’entier des faits, il n’est pas possible de déterminer si le blocage est une initiative de la banque ou si elle a été « soufflée » par les héritiers réservataires. L’affaire, comme la banque, n’a pas encore livré tous ses secrets.