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Bonus d’un gérant

De la difficulté de contester le calcul de son bonus plusieurs années après

Dans un arrêt récent, un gérant bancaire a échoué à obtenir un rappel de rémunération, alors qu’il exigeait un nouveau calcul de son bonus en se fondant sur des avoirs sous gestion qu’il prétendait avoir apportés à sa banque employeuse (TF 4A_519/2022 du 12 octobre 2023).

Les faits sont les suivants : en 2009, un gérant avait organisé une rencontre entre un apporteur d’affaires, qu’il connaissait, et un membre du comité exécutif d’une banque. Peu après, une seconde rencontre fut organisée, par un tiers, entre le même apporteur d’affaires et le membre du comex ; les clients présentés furent confiés à la banque. Selon l’apporteur d’affaires, le second entretien fut décisif pour l’acquisition par la banque de ces nouveaux clients.

Le gérant fut engagé par la banque en 2010. Son contrat stipulait une rémunération fixe et un salaire variable, calculé au moyen d’une formule appliquant notamment un pourcentage à la rentabilité de la masse sous gestion des clients gérés par l’employé. Les « clients gérés par l’employé » étaient définis notamment comme ceux entrés en relation avec la banque grâce à un apporteur d’affaires connu exclusivement dudit employé. L’adverbe « exclusivement » avait été supprimé par un avenant en 2012.

L’année précédente, soit en 2011, la banque avait indiqué au gérant que les clients de l’apporteur d’affaires n’étaient pas portés à son crédit et que les actifs sous gestion correspondants n’entreraient pas dans la formule de calcul de son bonus. Un montant de 50’000 francs, selon la banque à titre de « solde de tout compte », avait été versé au gérant.

L’employé avait ensuite perçu son bonus durant plusieurs années, calculé chaque fois sans les avoirs des clients de l’apporteur d’affaires. Les bonus ne furent pas contestés. Le contrat prévoyait d’ailleurs un délai de dix jours suivant la remise du décompte de calcul du salaire variable pour une éventuelle contestation. Ce n’est qu’en 2018 que le gérant avait à nouveau exigé la prise en compte des avoirs sous gestion des clients de l’apporteur d’affaires dans le calcul de son bonus.

Après avoir démissionné en 2019, le gérant avait procédé à un nouveau calcul de son bonus, réclamant in fine à son ex-employeuse un rappel de rémunération de près de 2,5 millions de francs.

Les trois instances amenées à connaître de l’affaire (TPH de Genève, CJ et TF) ont donné tort au gérant. Les arguments de la Cour genevoise étaient, en premier lieu, que les clients avaient été amenés à la banque par plusieurs sources, à savoir l’employé puis un tiers, hypothèse non prévue par la réglementation du bonus. La suppression du mot « exclusivement » à partir de 2012 ne permettait pas d’interpréter le règlement de bonus comme incluant désormais les clients de l’apporteur d’affaires, dès lors qu’un accord était intervenu entre les parties à ce sujet en 2011, actant l’exclusion des avoirs sous gestion correspondants, moyennant le versement de 50’000 francs. En second lieu, le gérant n’avait jamais émis de contestation contre les décomptes du salaire variable qui lui avaient été transmis au fil des années, et n’était revenu sur la question de la prise en compte des avoirs sous gestion des clients amenés par l’apporteur d’affaires qu’en 2018.

Le TF considère que ce raisonnement est conforme au droit fédéral. Il reproche à l’employé de vouloir imposer une vision subjective de la situation. Concernant la priorité temporelle de la première rencontre entre l’apporteur d’affaires et le membre du comex, organisée par le gérant, il n’était pas arbitraire de retenir que la seconde rencontre avait été, matériellement, décisive pour l’acquisition des clients. Concernant la demande faite par le gérant en 2018 de rouvrir la question discutée en 2011 sur la mise à son profit de l’arrivée des nouveaux clients, le TF refuse d’y voir la preuve que le différend n’aurait jamais été soldé entre les parties. Il reproche plutôt à l’employé de ne pas avoir contesté les décomptes immédiatement, au fur et à mesure qu’ils lui étaient transmis.

Au niveau du droit, il s’agissait, selon nous, de deux questions d’interprétation. Premièrement, une interprétation textuelle : la suppression de l’adverbe « exclusivement » devait-elle conduire à inclure dans la base de calcul du bonus les clients de l’apporteur d’affaires, malgré l’accord de 2011 ? Ensuite, une interprétation du comportement des parties : l’absence de contestation de la part du gérant à la réception des décomptes était-elle la preuve de son acceptation du mode de calcul excluant les clients de l’apporteur d’affaires ? Ces deux questions auraient pu conduire à l’application des règles de l’interprétation objective, plutôt que subjective comme l’ont fait les juges cantonaux. Le résultat aurait toutefois certainement été le même : il est de jurisprudence constante qu’un co-contractant doive exprimer son désaccord rapidement après réception d’un paiement effectué en exécution du contrat. Certes, dans les relations de travail, le silence du travailleur doit être apprécié avec mansuétude, tant que la prétention n’est pas prescrite. En l’espèce cependant, le gérant aurait dû justifier pourquoi il s’était tu après l’accord de 2011 et au moment du versement des décomptes annuels. La peur de perdre son emploi aurait-elle été considérée comme un motif suffisant, dans un contexte où la rémunération était très élevée et où le gérant avait finalement osé invoquer le sujet, avant même de démissionner ? On peut en douter au vu de la jurisprudence.

La leçon à retenir de cette affaire est, pour les banques, de préciser avec soin, dans les accords intervenant en cours de relation pour régler des différends ponctuels, le caractère transactionnel quant aux points ainsi liquidés. Du côté des gérants, il est conseillé de faire état des prétentions tenues pour non réglées, au minimum chaque année, ne serait-ce que par un rappel en réponse au versement de la rémunération.