Appel de marge
Sévère chute des marchés en raison de la pandémie COVID-19
Roxane Pedrazzini
Le Handelsgericht de Zurich valide un appel de marge avec un court délai d’un peu plus de 24h dans l’arrêt HG200220-O du 27 octobre 2022, publié le 1er novembre 2023.
Dans cette affaire, le CEO d’une société basée en Ecosse, investisseur qualifié de « professionnel », et son ex-épouse ouvrent une relation bancaire avec une banque à Zurich. Ils sont tous les deux liés avec la banque par une relation de conseil en placement avec profil de risque élevé. Dans le cadre des relations bancaires, la banque leur octroie un crédit lombard contre le nantissement de l’intégralité de leurs avoirs déposés sur leur compte. Selon les contrats correspondants, le crédit octroyé ne doit pas dépasser la valeur de nantissement calculée en continu par la banque. Cette dernière est en outre autorisée à réaliser les sûretés si les emprunteurs ne donnent pas suite à une éventuelle demande de couverture supplémentaire dans le délai imparti.
En raison de la chute des cours boursiers en mars 2020 liée à la pandémie COVID-19, les actions mises en gage ne couvrent plus les crédits lombards. La banque procède donc à un appel de marge le 17 mars 2020 à 9h24 et exige une couverture supplémentaire de CHF 370’000 d’ici au 18 mars 2020 à 12h00. Le CEO indique que son ex-épouse et lui-même ne seront pas en mesure d’apporter la couverture supplémentaire dans le délai imparti, mais qu’ils pourront le faire s’ils disposent d’un délai supplémentaire. Le CEO et la banque discutent pendant la journée du 17 mars 2020 de différentes options pour répondre à l’appel de marge.
En particulier, le CEO demande la valeur des actions nanties afin d’identifier quelles actions pourraient être vendues ainsi qu’une brève prolongation du délai imparti. La banque transmet une estimation des actions qu’elle recommande de vendre. Le CEO demande à la banque d’attendre avant de vendre certaines actions, indique qu’il communiquera ses instructions le lendemain à 8h00, soit le 18 mars 2020, et sollicite un bref délai supplémentaire. La banque objecte le 17 mars 2020 à 16h31 en exigeant des instructions immédiates et en recommandant de vendre toutes les actions à l’exception de celles de la société écossaise dont il est le CEO. Ce dernier finit par déclarer « OK s’il doit en être ainsi » et les actions sont vendues peu de temps après.
En novembre 2020, le CEO et son ex-épouse déposent une demande en paiement à l’encontre de la banque.
Le Handelsgericht retient que le CEO donne l’instruction expresse de vendre les actions litigieuses. Après la vente des actions, le CEO se plaint uniquement de la brièveté du délai imparti mais ne conteste pas avoir consenti à la vente. Il ne s’agit ainsi pas d’un cas de réalisation du gage et de vente forcée des actifs nantis.
En outre, selon le Handelsgericht, la banque ne viole pas son devoir de diligence en l’espèce lorsqu’elle recommande la vente des actions litigieuses. En particulier, selon les contrats topiques, la banque dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer la valeur des actions nanties et peut réduire à sa discrétion leur valeur à zéro en raison de la baisse des cours boursiers. De plus, la banque peut fixer un délai très court dans le cadre d’un appel de marge et même liquider les actifs nantis avant l’échéance de celui-ci s’il apparaît certain, comme en l’espèce, que le client ne sera pas en mesure de remédier au découvert sur son compte dans le délai imparti. La banque n’est enfin pas en situation de conflit d’intérêts lorsqu’elle conseille à son client différentes solutions pour réduire ledit découvert. Par conséquent, la banque n’engage pas sa responsabilité contractuelle envers les demandeurs et leur action en paiement est rejetée.
La décision du Handelsgericht peut paraître sévère. La banque ne semble pas être en mesure de renseigner le CEO de manière complète, en particulier sur la valeur des actions qu’elle recommande de vendre. Elle pousse le CEO à donner des instructions avant le délai imparti et le produit de la vente s’élève à plus d’un million alors que la demande de couverture supplémentaire est de CHF 370’000. Cependant, vu l’effondrement des marchés boursiers, la valeur des actions a probablement continué de baisser après l’appel de marge. Cela confirme que la banque dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer la valeur des actifs nantis.
Cela étant, les conclusions du Handelsgericht dans cette affaire reposent principalement sur le fait que le CEO s’est lui-même déclaré « investisseur professionnel » auprès de la banque. Or, en cette qualité, il est tenu de (i) connaître les risques liés au crédit lombard et à l’effet de levier en cas de forte chute des marchés boursiers, en particulier la probabilité élevée d’un appel de marge à brève échéance et la liquidation des actifs nantis dans des conditions de marché défavorables, et ainsi (ii) suivre l’évolution du cours des marchés boursiers et (iii) ne pas accepter immédiatement la vente des actifs nantis s’il peut sérieusement envisager une solution alternative pour répondre à l’appel de marge dans le délai imparti. Cet arrêt laisse ainsi entendre qu’un client qualifié d’investisseur professionnel accepterait indirectement d’être soumis à des exigences accrues dans la surveillance de ses instruments financiers et des marchés boursiers. Ces conclusions devraient toutefois être nuancées pour les clients moins expérimentés.
Cette affaire rappelle par ailleurs que le client doit éviter tout comportement pouvant être interprété comme une confirmation ou ratification avec pour conséquence de perdre certains droits ou prérogatives (en l’occurrence les éventuels droits liés à la vente forcée des actions et la possibilité d’attendre l’échéance du délai initialement imparti par l’appel de marge). Elle confirme également la jurisprudence du Handelsgericht qui autorise un court délai de quelques jours pour l’appel de marge (en l’espèce un délai d’un peu plus de 24h) et le pouvoir discrétionnaire de la banque dans ce cadre.