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Credit Suisse

La transparence attendra la fin des travaux de la commission d’enquête parlementaire

Le 29 novembre 2023, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (Préposé) a publié neuf recommandations liées à l’acquisition de Credit Suisse par UBS. En substance, le Préposé opère une distinction entre, d’une part, les documents établis ou communiqués après l’entrée en vigueur de l’ordonnance de nécessité du 16 mars 2023 (Ordonnance), dont l’accès en vertu de la Loi sur la transparence (LTrans) est expressément exclu et, d’autre part, les documents antérieurs qui relèvent de la LTrans et sont donc en principe accessibles. Le Préposé recommande toutefois de différer l’accès aux documents dont la communication pourrait entraîner une entrave importante à la formation de l’opinion et de la volonté de la commission d’enquête parlementaire (CEP), jusqu’à la fin des travaux en cours.

Entre le 20 mars et le 26 juin 2023, plusieurs journalistes ont formulé des demandes d’accès (art. 10 LTrans) à des informations et documents concernant cette affaire, qui ont toutes été refusées par le Secrétariat général du DFF et le Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales, sur la base de l’art. 6 al. 3 de l’Ordonnance (qui exclut expressément l’accès aux informations et données en vertu de la LTrans), en relation avec l’art. 4 let. a LTrans. À l’issue de la procédure de médiation prévue par l’art. 13 LTrans, le Préposé a rendu les neuf recommandations susmentionnées, dont le contenu est largement similaire (à l’exception d’un cas où l’autorité n’a prétendument pas identifié de documents officiels).

Dans ses recommandations, le Préposé commence par analyser l’applicabilité de la LTrans à la BNS et la FINMA (en principe exclue selon l’art. 2 al. 2 LTrans). Contrairement au raisonnement adopté dans une précédente recommandation, le Préposé estime que les documents produits par la FINMA ou la BNS restent exclus de l’accès en vertu de la LTrans, même s’ils ont été communiqués à une autorité soumise à cette loi. La seule exception, applicable aux cas d’espèces, concerne les documents qui n’ont pas été établis dans l’accomplissement d’une tâche publique, mais en représentation ou sur mandat d’une autorité soumise à la LTrans. Le Préposé souhaite en effet éviter que le Conseil fédéral ou ses départements puissent vider le principe de la transparence de sa substance en externalisant des tâches de l’administration fédérale.

Le Préposé examine ensuite la possibilité d’exclure l’application de la LTrans au moyen d’une ordonnance, dès lors que l’art. 4 let. a LTrans réserve cette possibilité aux dispositions spéciales d’une loi fédérale. Le Préposé note que l’Ordonnance est fondée sur les art. 184 al. 3 et 185 al. 3 Cst., dont les ordonnances peuvent remplacer une loi formelle et contenir des dispositions importantes fixant des règles de droit (art. 164 al. 1 Cst.), ainsi que servir de base à de graves restrictions des droits fondamentaux.

Par ailleurs, le Préposé se penche notamment sur le champ d’application temporel de l’art. 6 al. 3 de l’Ordonnance, qui est entré en vigueur le 16 mars 2023. Après avoir constaté que l’Ordonnance ne contient aucune disposition réglant la rétroactivité, et qu’aucun indice ne permet de conclure qu’une véritable rétroactivité était voulue, le Préposé arrive à la conclusion que l’art. 6 al. 3 de l’Ordonnance trouve uniquement application pour les documents établis ou reçus après son entrée en vigueur.

Il est intéressant de noter que l’art. 6 al. 3 de l’Ordonnance a été abrogé avec effet au 15 septembre 2023, selon une modification de l’Ordonnance adoptée le 6 septembre 2023 par le Conseil fédéral. Même s’il n’existe à ce jour plus de motif spécial d’exclusion, les principes généraux de transparence exposés ci-après restent toutefois applicables.

En effet, pour tous les documents soumis à la LTrans, il convient encore d’examiner s’il existe une exception permettant de limiter, différer ou refuser le droit d’accès (art. 7 LTrans).

Le Préposé retient uniquement le premier motif invoqué (basé sur l’art. 7 al. 1 let. a LTrans) en estimant qu’il est suffisamment plausible que la divulgation de certains documents ou de certaines informations puisse entraver de manière notable la libre formation de l’opinion et de la volonté de la CEP. Le Préposé recommande ainsi à l’autorité d’entreprendre un tri pour identifier ces documents, dont l’accès pourra être différé jusqu’à la fin des travaux de la CEP. Pour l’heure, il est prévu que les travaux d’enquête proprement dits s’étendent jusqu’au début de la session de printemps 2024 et le rapport final n’est sans doute pas attendu avant l’été 2024 au plus tôt.

En revanche, le Préposé écarte toutes les autres exceptions (art. 7 al. 1 let. b, c, d, f, et g, ainsi que art. 8 al. 1 LTrans) car il considère que les arguments de l’autorité (qui porte le fardeau de la preuve) n’atteignent, en l’état, pas un degré de motivation suffisant et que la présomption en faveur du libre accès n’a ainsi pas été renversée.

A ce stade, la prochaine étape pour les demandeurs est d’obtenir une décision sujette à recours. Sur la base de l’art. 15 al. 2 LTrans, le Préposé recommande aux deux autorités, si elles décident de limiter l’accès, de rendre directement des décisions selon l’art. 5 PA (celles-ci pouvant également être demandées dans les 10 jours qui suivent la réception des recommandations par les demandeurs, selon l’art. 15 al. 1 LTrans). Les décisions devront être rendues dans un délai de 20 jours à compter de la date de réception des recommandations ou des requêtes en décision (art. 15 al. 3 LTrans). Les demandeurs pourront ensuite recourir au Tribunal administratif fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification des décisions, avant de s’adresser, si nécessaire, au Tribunal fédéral.

Par conséquent, la transparence attendra au moins la fin des travaux de la CEP, voire même très vraisemblablement plus si les voies de droit doivent être épuisées.