Changement de direction de fonds
Tension entre la LPCC et les droits de mutation ?
Aurélien Barakat
Le Tribunal fédéral examine un nouveau cas de changement de direction de fonds et le prélèvement d’un droit de mutation dans le canton de Fribourg, en confirmant une précédente jurisprudence tout en précisant à qui revient économiquement la charge fiscale (9C_312/2023 du 7 décembre 2023 destiné à publication).
L’affaire concerne un fonds de placement immobilier lequel a procédé à un changement de direction de fonds. E. SA était inscrite comme propriétaire à titre quasi fiduciaire d’une quinzaine d’immeubles dans le canton de Fribourg et agissait en qualité de direction de fonds, laquelle a été confiée à A. SA en 2021, ce qui a induit un changement d’inscription au registre foncier.
Sur la base de l’application de la loi cantonale fribourgeoise, un droit de mutation résultant d’un changement d’inscription au registre foncier est prélevé sur la valeur vénale des 15 immeubles sis à Fribourg pour un montant total d’approximativement CHF 1.8 millions, ce que A. SA va contester devant le Tribunal fédéral.
Cette application de la loi fribourgeoise considérant que le changement formel de propriétaire au registre foncier permet le prélèvement d’un droit de mutation (cette solution n’étant pas appliquée dans les cantons de Genève et Vaud) a déjà été validée par le Tribunal fédéral dans son ATF 148 II 121 (résumé in : Liegeois, cdbf.ch/1233).
Il faut préciser que la recourante remet principalement en question un argument pas suffisamment examiné dans l’ATF précité : l’impossibilité économique pour la direction de fonds d’assumer la charge posée par le prélèvement des droits de mutation – limitant ainsi de facto la possibilité de changement de direction de fonds prévue par la LPCC.
Le Tribunal fédéral rappelle dans un premier temps que la compatibilité du prélèvement du droit de mutation face à la primauté du droit fédéral a fait l’objet d’un examen spécifique dans l’ATF 148 II 121. Il était arrivé à la conclusion qu’il n’était pas acceptable que le droit privé fédéral limite toute possibilité pour les cantons de prélever un droit de mutation sous l’application de l’art. 49 Cst. et qu’une règle formelle, à l’instar de l’art. 103 LFus, était nécessaire.
La recourante argumente que, pour des raisons réglementaires fondées sur les art. 26 al. 3 LPCC et 37 al. 2 et al. 2bis OPCC, elle n’est pas autorisée à répercuter les droits de mutation sur les investisseurs et qu’il lui revient ainsi de les supporter elle-même, soit l’équivalent de 20 ans de commissions cumulées.
Se fondant sur certains avis doctrinaux, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 38 LEFin permet à la recourante d’être remboursée sur des engagements financiers résultant de l’application de ses tâches, complétant ainsi l’art. 37 OPCC pour autant que cela soit nécessaire, de sorte que la recourante ne doit pas assumer elle-même ces frais dès lors qu’il s’agit de frais tombant sous le coup de l’art. 38 al. 1 let. b et c LEFin. Contrairement à ce qui valait dans l’ATF 148 II 121, la direction de fonds ne s’était dans ce cas pas engagée contractuellement à supporter le droit de mutation, raison pour laquelle cette question était restée ouverte jusqu’à ce jour.
La question de la protection des investisseurs face à l’opportunité d’un changement de direction de fonds est quant à elle garantie selon le Tribunal fédéral. Il revient en effet tant aux directions de fonds impliquées qu’à la FINMA de s’assurer que les avantages liés à un tel changement sont plus importants que les inconvénients (parmi lesquels une imputation de la fortune du fonds à hauteur des droits de mutation).
Le Tribunal fédéral rejette ainsi les principaux griefs de violation de l’art. 49 Cst. et de l’art. 39 LEFin, renvoyant la problématique au législateur.
Se fondant sur le même raisonnement que celui développé dans l’ATF 148 II 121, le Tribunal fédéral écarte également le grief de l’arbitraire dans l’application du droit cantonal. Se fondant sur différents avis doctrinaux, et ne suivant pas l’avis de certains auteurs dont Liégeois, le Tribunal fédéral maintient qu’il n’est pas arbitraire de se fonder sur la lettre de la loi renvoyant au transfert de propriété au sens du droit civil.
Cet arrêt appelle quelques commentaires :
- L’art. 38 LEFin a bien vocation à compléter l’art. 37 OPCC et ainsi permettre aux directions de fonds d’obtenir des remboursements pour les dépenses engagées dans le cadre de la réalisation du mandat de gestion de fonds et concernant des dépenses qui ne seraient pas expressément mentionnées dans l’ordonnance précitée.
- Il pose la délicate question quant à la responsabilité d’apprécier l’opportunité de procéder à un changement de direction de fonds face à la protection des intérêts des investisseurs. On peut volontiers imaginer que la direction de fonds sortante se trouve dans un possible conflit d’intérêt quant à se prononcer sur son potentiel remplacement, et qu’il ne sera pas toujours aisé pour la FINMA de se prononcer sur l’opportunité d’un tel changement, une décision éminemment économique à laquelle une autorité de surveillance aura parfois du mal à donner suite, sauf cas manifestes.
- La solution retenue par le Tribunal fédéral sous l’examen de l’arbitraire se comprend dans sa conception, mais plus difficilement dans son résultat. Le changement de direction de fonds n’a aucun impact sur la propriété économique – la direction de fonds étant uniquement inscrite à titre quasi fiduciaire au registre foncier. A notre sens, cette solution ne pourrait résister à un examen sous l’angle d’un pouvoir de cognition complet dès lors qu’il parait douteux qu’il s’agisse in casu de la réelle volonté du législateur, auquel il conviendra d’agir s’il souhaite harmoniser cette règle avec celles des cantons voisins.