Le L-QIF arrive!
Entrée en vigueur de la révision de la LPCC et de l’OPCC au 1er mars 2024
Rashid Bahar
Lors de sa séance du 31 janvier 2024, le Conseil fédéral a adopté les modifications de l’OPCC et décidé de l’entrée en vigueur des modifications de la LPCC relatives au placement collectif pour investisseur qualifié (limited qualified investor fund ou L-QIF) adoptées le 17 décembre 2021. Pour mémoire, le L-QIF est un placement collectif réservé aux investisseurs qualifiés au sens de la LPCC qui n’est pas soumis à l’approbation ou l’autorisation de la FINMA (art. 118a LPCC). Il peut prendre la forme d’un fonds contractuel, d’une SICAV à direction externe (c’est-à-dire d’une SICAV dont l’administration et la gestion sont assurées par une direction de fonds) ou encore d’une société en commandite de placements collectifs (SCmPC), qui doit alors déléguer sa gestion à un gestionnaire de fortune collective, à moins que les associés indéfiniment responsables soient des banques, des assurances soumises à la LSA, des maisons de titres ou des gestionnaires de fortune collective (art. 118c LPCC, art. 118g et 118h LPCC). Par ce biais, la législation requiert que l’administration des L-QIF soit assumée par des établissements surveillés.
Dans le cadre de la révision de l’OPCC, le Conseil fédéral a précisé le cadre réglementaire applicable aux L-QIF. Dans l’ensemble, le cadre normatif sera comparable à celui applicable aux placements collectifs surveillés, notamment en raison d’un renvoi aux normes techniques adoptées par la FINMA dans l’OPC-FINMA et des normes d’autorégulation reconnues par la FINMA (art. 126b OPCC). Premièrement, il a prévu, malgré les oppositions formulées lors de la consultation, que les L-QIF sous forme de SICAV ou fonds contractuels soient soumis aux mêmes exigences concernant les techniques et restrictions de placement que les autres fonds en investissement alternatifs (voir art. 126p OPCC), qui peuvent être offerts à des investisseurs non qualifiés. Il a toutefois permis aux L-QIF de recourir, pour autant que ce soit prévu dans la documentation, selon un modèle de type value-at-risk (VaR) pour évaluer les risques d’un L-QIF, aux mêmes conditions que celles prévues pour les placements collectifs soumis à la surveillance de la FINMA, mais sans approbation préalable de la FINMA (art. 126p al. 4 OPCC ; comp. art. 33 al. 2 OPC-FINMA).
En raison de l’absence de surveillance par la FINMA, les opérations avec les parties liées de fonds immobiliers seront soumises à des exigences moins strictes : moyennant une disposition idoine dans la documentation du placement collectif, le respect d’une évaluation par un expert indépendant et une approbation d’au moins la majorité des investisseurs, il sera permissible d’effectuer des opérations avec des personnes proches (art. 126x al. 1 OPCC). Dans ce cas, un contrôle ex post sera assuré par l’obligation de préparer un rapport à ce sujet, faire vérifier le respect du devoir de fidélité par la société d’audit et une mention dans le rapport annuel du L-QIF (art. 126x al. 2 à 4 OPCC).
Les L-QIF devront fournir au DFF les mêmes informations statistiques que les placements collectifs surveillés (voir art. 126g al. 2 et 6 OPCC) et la FINMA pourra, par le biais de l’obligation de renseigner faite aux assujettis, également obtenir des informations statistiques concernant les L-QIF, même si ces derniers ne sont pas assujettis à sa surveillance. Les normes comptables, les principes d’évaluation et les obligations de publications applicables aux placements collectifs surveillés seront applicables par analogie aux L-QIF (art. 126zquater et art. 126zquinquies OPCC). Ces derniers seront également soumis à un régime d’audit, qui connait des ajustements pour tenir compte de l’absence de surveillance par la FINMA : un audit complémentaire viendra jouer le même rôle que l’audit prudentiel et suivra par analogie les principes applicables à ce dernier tout en s’intéressant également au respect des prescriptions propres aux L-QIF (voir art. 126zduodecies OPCC). Toutefois, la société d’audit ne devra pas remettre son rapport à la FINMA. Ce n’est que si des manquements essentiels sont constatés que la société d’audit sera appelée à en aviser l’autorité de surveillance en faisant état d’une irrégularité dans son rapport d’audit prudentiel concernant l’établissement responsable de l’administration du L-QIF (art. 126ztredecies OPCC).
Contrairement à ce qui avait été envisagé dans le cadre du projet soumis à consultation, l’OPCC ne prévoit plus que des liens familiaux entre l’administration et les investisseurs remettent en question leur indépendance et donc le respect de la condition de la gestion par un tiers. De même, elle a renoncé à exiger la mise en place de processus adéquats afin de garantir que les placements collectifs maintiennent leurs caractéristiques, plus particulièrement que, sous réserve de l’exception de l’art. 7 al. 3 LPCC, ils comptent une pluralité d’investisseurs. Il appartiendra ainsi aux établissements administrant un placement collectif de veiller à ce que les placements collectifs conservent durablement leurs caractéristiques légales (art. 5 al. 6 OPCC) et d’intervenir en cas de besoin, étant précisé que la société d’audit devra noter toute violation de ce principe dans son rapport complémentaire et, sous forme d’irrégularité, dans le rapport d’audit prudentiel de l’établissement surveillé.
En marge de ces modifications, l’OPCC comporte d’autres nouveautés d’une portée plus large : notamment, elle étend le champ d’application des règles de conduites de la LPCC à l’administration de placements collectifs étrangers (voir art. 31 à 34 OPCC) et impose le respect de l’obligation de best execution dans le cadre de services apportés à des placements collectifs (voir art. 31a OPCC), alors que la disposition correspondante de la LSFin ne s’appliquait pas dans ce cas en vertu de l’art. 20 LSFin. Par ailleurs, l’OPCC codifie la possibilité de créer des fonds de cantonnement (side pockets) moyennant l’accord de la FINMA dans des circonstances exceptionnelles afin de ségréguer des actifs devenus illiquides d’un placement collectif ouvert (art. 110a OPCC). De même, l’OPCC améliore la sécurité du droit en prévoyant un cadre pour les ETF : conformément à la pratique de la FINMA, les ETF suisses et étrangers devront être cotés en Suisse afin de pouvoir être offerts aux investisseurs non-qualifiés. Toutefois, l’OPCC innove en prévoyant la possibilité d’émettre au sein d’un même placement collectif des classes de parts cotées et des classes de parts non cotées (voir art. 107 OPCC). Enfin, l’OPCC instaure également un cadre réglementaire destiné à gérer le risque de liquidité des placements collectifs ouverts, s’inspirant des efforts internationaux dans ce domaine (voir art. 108a OPCC).
Dans l’ensemble, l’arrivée du L-QIF est une bonne nouvelle pour la place financière suisse. Toutefois, il s’agit d’un projet moins flexible et innovateur que ce l’on aurait pu souhaiter : il permet avant tout de créer, sans approbation ou autorisation, des placements collectifs pour des investisseurs sophistiqués ou fortunés, mais le cadre réglementaire reste en fin de compte proche de celui applicable aux fonds autorisés, ce qui compte tenu du public cible de ces véhicules est discutable en termes d’opportunité. Il s’agira désormais de voir si cet instrument trouve sa place dans l’écosystème helvétique, notamment afin d’offrir à des investisseurs suisses un véhicule soumis au droit suisse, et si, avec le temps, le Conseil fédéral osera faire preuve de plus de flexibilité à l’égard de cette nouvelle forme de placement collectif.