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Appel de marge

Quels devoirs pour la banque dans une relation execution only  ?

La Cour de justice de Genève déboute un client dans un litige concernant un appel de marge. La Cour qualifie le contrat en execution only, exonérant la banque de surveiller les positions et d’avertir le client. Sans stop loss, la banque n’était pas tenue de liquider automatiquement les positions (ACJC/378/2024 du 16 mars 2024).

Un client entre en relation d’affaires avec une banque genevoise en 2016. Ils signent un contrat de conseil en placement en mars 2018. A l’automne 2018, le client entreprend des transactions futures sur le pétrole brut américain WTI et se plaint rapidement des frais. La banque propose un rapport execution only avec des frais réduits et un accès direct à la salle de marché. Le client lui demande d’appliquer ces nouvelles conditions tarifaires dès le 1er février 2019. Le 20 avril 2020, en pleine pandémie de COVID-19, le WTI dévisse. Le buffer puis la marge complémentaire sont atteints dans la journée. Le lendemain des échanges téléphoniques et de correspondances ont lieu entre 11h23 et 12h55 où le client reproche à la banque de ne pas avoir automatiquement clôturé ses positions à USD 19 et refuse de le faire à un niveau plus bas. La banque clôture finalement les positions entraînant un découvert de USD 918’584.

La banque dépose une demande en paiement contre le client pour valider le séquestre obtenu sur un autre compte du client en Suisse. Le client dépose une action reconventionnelle réclamant le gain manqué à l’expiration des contrats à terme. Le Tribunal de première instance admet l’action de la banque et rejette celle du client qui recourt à la Cour de justice.

La Cour de justice a appliqué une méthodologie en deux parties dans son raisonnement. La première examine si la banque a respecté les conditions contractuelles pour l’appel de marge et la liquidation des positions. La seconde consiste à qualifier le contrat pour déterminer si la banque devait surveiller les investissements et informer immédiatement le client en cas de détérioration de ses positions.

En premier lieu, la banque doit prouver avoir liquidé les positions conformément aux conditions contractuelles de l’appel de marge, justifiant ainsi sa réclamation du solde débiteur. La Cour a retenu que la marge protégeait exclusivement les intérêts de la banque. Le reproche du client selon lequel la banque aurait tardé à notifier un appel de marge en tolérant une insuffisance de marge le 20 avril 2020 est rejeté.

La Cour de justice examine ensuite les modalités de la procédure d’appel de marge et de liquidation. Le client argue que le courriel du 21 avril à 12h11 ne remplissait pas les exigences d’un appel de marge formel, que le calcul était erroné et que des informations claires et chiffrées dès l’insuffisance de marge lui auraient permis d’apporter du collatéral supplémentaire. La Cour relève que, lors des conversations téléphoniques, le client a clairement refusé d’effectuer un apport de fonds complémentaires, reprochant l’absence de clôture automatique à USD 19. Le client n’a pas prouvé qu’il aurait agi différemment si la banque lui avait communiqué d’autres chiffres que ceux qu’il avait reçus à 12h11. Connaître l’ampleur exacte du collatéral supplémentaire à apporter n’aurait pas modifié l’attitude du client. L’absence d’indication de délai pour apporter les fonds supplémentaires est sans conséquence vu le refus du client de tout apport supplémentaire. En d’autres termes, toujours selon la Cour, malgré le fait que certains auteurs considèrent qu’un appel de marge pour être valable doit contenir le montant précis à apporter et fixer un délai en application de l’art. 108 CO, le comportement du client a rompu le lien de causalité d’une éventuelle violation contractuelle de la banque. La question de savoir si l’email de 12h11 informant d’un découvert de USD 1’222’294 constitue un appel de marge valable peut rester ouverte.

En second lieu, la Cour examine si le client a droit à des dommages et intérêts pour une violation du devoir d’information et de conseil. Cela nécessite de qualifier le contrat et de déterminer l’étendue des devoirs contractuels d’information, de conseil et d’avertissement. La question de savoir si le contrat de conseil avait perduré jusqu’en avril 2020 en raison de l’absence de résiliation par écrit, de conseils sporadiques, et de la facturation de counsel fees, peut rester indécise. La communication d’un tableau récapitulatif de l’excédent ou du déficit des positions avec et sans buffer relevait de la gestion des risques de la banque et était effectuée indépendamment du type de relation contractuelle. À défaut de disposition contractuelle, la banque n’avait pas d’obligation de surveiller le portefeuille. Les parties n’entendaient ainsi pas être liées par un contrat de conseil global, donc la banque n’était pas tenue de sauvegarder les intérêts du client, ni de surveiller constamment ses positions. Partant, la banque n’a pas violé ses obligations en n’informant pas le client de l’évolution du marché le 20 avril 2020 ou le 21 avril 2020 au matin. Il n’est pas établi que les parties étaient convenus d’un stop loss au seuil de USD 19.

Cet arrêt s’inscrit dans la ligne droite de la jurisprudence rendue jusqu’à présent dans les cas d’appel de marge (p. ex. 4A_450/2010, commenté in Gomez Richa, cdbf.ch/732/). La leçon pour le client est qu’il vaut mieux apporter des fonds supplémentaires en réservant ses droits. Les obligations de la banque sont très limitées en cas de rapport d’execution only et le comportement du client peut rompre le lien de causalité lorsque la banque n’applique pas correctement la procédure d’appel de marge. En revanche, un contrat de conseil suivi ou l’existence d’un rapport de confiance particulier imposent à la banque des devoirs plus étendus d’information, de conseil et d’avertissement.