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Sanctions

La voie du cas clair est fermée pour débloquer un paiement

Par arrêt 4A_394/2024 du 18 septembre 2024, le Tribunal fédéral confirme l’irrecevabilité d’une requête en cas clair tendant au débit du compte d’un client sous le coup de sanctions, afin de payer les honoraires de son avocat.

Un client est titulaire de plusieurs comptes bancaires en Suisse, notamment auprès d’une banque, dont le groupe est également actif en Europe et au Royaume-Uni. Le client fait l’objet de sanctions en lien avec le conflit en Ukraine, et ses avoirs ont été gelés par la Suisse, le Royaume-Uni et l’Union européenne.

Entre avril et juin 2023, le client demande et obtient du SECO une autorisation de débiter son compte afin de payer les frais et honoraires de son avocat suisse, lequel dispose également d’une procuration sur le compte en question.

Après que la banque a refusé le débit en question, le client ouvre une action en cas clair contre la banque fin juin 2023, tendant au paiement des frais et honoraires, et à l’exécution future d’autres ordres de ce genre. Le Tribunal de première instance retient que la situation juridique n’est pas claire et déclare la requête irrecevable, décision confirmée par la Cour de Justice genevoise, ce qui conduit le client à saisir le Tribunal fédéral.

Sur le fond, le Tribunal fédéral rappelle que la procédure de cas clair n’est ouverte que si l’état de fait n’est pas litigieux et que la situation juridique est claire (art. 257 CPC), à défaut de quoi la requête est irrecevable.

Or, on se trouve ici en présence de sanctions émanant de plusieurs ordres juridiques, dont les portées respectives et les interactions sont incertaines compte tenu de la nouveauté de cette situation. L’autorisation donnée par le SECO – par ailleurs d’une durée limitée et qui n’a semble-t-il pas été renouvelée – ne pouvait donc suffire à elle seule, sans que les autorités étrangères n’aient leur mot à dire.

La banque s’était également réservé le droit de refuser certaines transactions pour les clients sous sanctions. Cette double incertitude sur la cause conduit le Tribunal fédéral à considérer, comme les instances précédentes, que la situation juridique n’était pas claire, et que la requête devait être déclarée irrecevable.

Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.

Même en voulant réduire le cas à un simple versement de compte à compte, recourir à la procédure du cas clair dans un contexte doublement complexe (droit bancaire et sanctions internationales) paraît de prime abord audacieux. Cette procédure présentait toutefois deux avantages, qui ne sont pas immédiatement apparents.

D’une part, le temps politique n’est pas le temps judiciaire. Les six mois et demi octroyés par le SECO (juin-décembre 2023) paraissent bien longs pour un unique paiement, à l’heure où le grand public a de plus en plus accès au virement SEPA instantané. À l’échelle d’une procédure judiciaire ordinaire toutefois, une cause introduite en juin ne verra pas d’audience de conciliation avant septembre, et par le jeu des reports, prolongations et requêtes de cautio iudicatum solvi, il est peu probable que les débats principaux s’ouvrent avant une année. L’autorisation – précaire – du SECO risquait d’arriver à son terme avant la fin du procès, au risque pour le client de devoir recommencer la procédure de zéro.

Le calendrier semble avoir donné raison au client : la cause a été introduite moins de deux semaines après que le SECO a donné son aval (en juin 2023), et la décision de première instance a été rendue le 21 décembre 2023.

D’autre part, cette procédure rapide permettait de sonder les motifs de la banque : était-ce un refus ferme et définitif, ou le souci d’éviter un haussement de sourcil des régulateurs étrangers ?

L’autorisation du SECO ne suffisait visiblement pas. Mais face à une décision judiciaire, la banque aurait pu plaider auprès des autres autorités étrangères intéressées que si elle s’est exécutée, c’est n’est qu’après y avoir été contrainte, sous la menace d’une amende journalière et de la désagréable perspective d’un commandement de payer, voire d’une commination de faillite. Si la banque souhaitait in pectore donner suite à l’ordre de paiement, il lui suffisait de se défendre mollement contre la requête en cas clair et d’attendre la décision.

Las ! La banque était déterminée, et la cause suffisamment complexe pour être renvoyée à la procédure ordinaire.

L’affaire n’est donc pas terminée : le client peut maintenant agir par les voies habituelles, ou tenter d’obtenir les autorisations de toutes les parties prenantes pour débloquer à l’amiable la situation et les fonds.

Au-delà des questions procédurales et bancaires, il ne nous faut pas oublier que ce cas concerne le paiement d’honoraires d’avocat. Si les sanctions ont leur utilité, elles ne devraient pas porter atteinte aux droits de la défense, et nous espérons que cela reste clair dans l’esprit de tous.