Gestion des risques
L’IOSCO se prépare à encadrer la pratique du pre-hedging

Vaïk Müller
Le 21 novembre 2024, l’International Organization of Securities Commissions (IOSCO) a publié une consultation relative à la pratique dite de couverture des ordres par anticipation (pre-hedging).
Pre-hedging vs front-running
Le pre-hedging doit être distingué du front-running, pratique prohibée car déloyale. Le front-running consiste pour une institution financière à exécuter des transactions pour compte propre préalablement à des transactions d’un client au détriment de ce dernier en vue d’exploiter des fluctuations futures de cours en sa faveur.
Contrairement au front-running, le pre-hedging permet à des maisons de titres de couvrir de manière anticipée leur exposition aux ordres des clients. Le pre-hedging est un outil de gestion des risques. En dépit de son caractère a priori légitime, le pre-hedging soulève cependant certaines questions réglementaires.
Situation en Europe et à l’international
En Europe, l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) a mené entre juillet et septembre 2022 une consultation publique sur cette pratique dans le but d’évaluer son admissibilité au regard du règlement sur les abus de marché (Règlement (UE) n°596/2014), de la directive sur les marchés d’instruments financiers (Directive 2014/65/UE) et du règlement sur les marchés d’instruments financiers (Règlement (UE) n°600/2014).
Le 12 juillet 2023, l’AEMF a conclu dans son rapport final que cette pratique était susceptible d’entraîner des conflits d’intérêts ou des comportements abusifs sans toutefois juger qu’une interdiction s’imposait.
Le 26 juillet 2024, le Financial Market Standards Board (FMSB) a publié une étude (spotlight review) sur le pre-hedging, contenant des études illustratives de cas décrivant les bonnes pratiques en la matière. Les exemples du FMSB se concentrent sur les pratiques de pre-hedging propres aux marchés des titres à revenus fixes (fixed income), devises (currencies) et ETFs, ainsi que les activités de gestion des risques liées aux nouvelles émissions de contrat d’échange de taux d’intérêt (interest rate swap).
Définition de l’IOSCO
Dans sa consultation , l’IOSCO se propose de définir la pratique du pre-hedging sur la base des cinq conditions cumulatives suivantes :
- Le pre-hedging est mis en œuvre par une maison de titres (dealer).
- Cette mise en œuvre est conforme aux règles applicables.
- La maison de titres exécute les transactions exclusivement pour compte propre (principal). Si le risque est supporté par le client, l’opération de pre-hedging ne répond à aucune logique de gestion des risques.
- Les transactions sont effectuées suite à la réception préalable d’informations relatives à une opération client, mais avant accord ou acceptation de la cotation (quote) par ce dernier ou son représentant.
- Les transactions sont exécutées pour atténuer les risques liés à l’opération (anticipée) du client.
Il est intéressant de remarquer que la définition de l’IOSCO est largement basée sur celle de l’AEMF, elle-même reprise par le FSMB. En revanche, les notions d’intérêt (benefit) du client ou de facilitation de la transaction n’en font pas stricto sensu partie, ces éléments étant plutôt traités dans la partie recommandations de la consultation.
Recommandations de l’IOSCO
Sur la base de cette définition, l’IOSCO propose en substance plusieurs recommandations visant à encadrer les opérations de pre-hedging effectuées par les maisons de titres.
L’opération doit poursuivre un but reconnaissable de gestion des risques. La maison de titres doit ainsi tenir compte du caractère prévisible de la transaction client, de la liquidité disponible, des conditions du marché, mais également de l’étendue de la couverture préalable nécessaire en vertu du principe de proportionnalité.
La maison de titres doit agir de manière équitable et loyale. Les clients sont en droit d’attendre une communication transparente, l’accord des clients doit être obtenu et les informations ne doivent pas être utilisées à d’autres fins.
L’opération de pre-hedging doit être effectuée à la faveur du client, la maison de titres devant être en mesure de démontrer qu’elle a raisonnablement pris en compte les instructions du client.
La maison de titres doit essayer de minimiser l’impact sur le marché (principe de minimisation) et veiller à maintenir l’intégrité de ce dernier. A cet égard, l’IOSCO relève qu’il n’est pas toujours possible pour les maisons de titres de s’assurer que la couverture des ordres par anticipation ne génère pas de mouvements sur le marché.
Mise en place de mesures de gestion des risques
L’IOSCO entend également consulter sur les mesures à mettre en place pour assurer une gestion efficace des risques par les maisons de titres. Ces mesures concernent les procédures et directives (policies), les processus compliance (examens post trade autonomes), la gestion des conflits d’intérêts, ainsi que la conservation des informations pertinentes (record keeping).
La consultation de l’IOSCO s’étend également au type, à la forme et au timing des communications (upfront, trade by trade ou post trade) et des accords des clients. A cet égard, la pratique du marché considère généralement que le consentement du client est donné, à tout le moins implicitement, lorsqu’il accepte les conditions commerciales. Par ailleurs, la majorité de l’industrie considère, en matière de trading électronique, que l’obtention de l’accord du client pour chaque transaction est difficilement réalisable.
Conclusion
La consultation de l’IOSCO est ouverte jusqu’au 21 février 2025. Dans l’attente du rapport final, courant 2025, les maisons de titres pratiquant le pre-hedging devraient se préparer à revoir leurs procédures et communications aux clients en prenant notamment en compte les bonnes pratiques du FMSB. Cette préparation leur permettra d’anticiper au mieux la version finale des recommandations de l’IOSCO, laquelle pourra servir aux régulateurs nationaux, dont la FINMA, pour façonner ou affiner leurs pratiques respectives.