Affaire 1MDB
Confirmation d’une interdiction d’exercer

Lionel Jeanneret
Dans l’arrêt 2C_368/2023 du 6 août 2025, rendu à cinq juges mais non destiné à la publication, le Tribunal fédéral confirme l’interdiction d’exercer prononcée à l’encontre de l’ancien membre de la direction de la Banque de la Suisse Italienne SA (« BSI ») plus de deux ans après avoir confirmé celle de l’ancien Head of Legal & Compliance (arrêt 2C_747/2021, commenté in : Braidi, cdbf.ch/1286).
Le recourant, ancien CEO de BSI Singapour Ltd. et membre de la direction de BSI, s’opposait à l’interdiction d’exercer de quatre ans (assortie de frais de procédure de CHF 30 000.-) prononcée par la FINMA le 12 juillet 2019 sur la base de l’art. 33 LFINMA. La procédure concerne des flux financiers de plus de CHF 12 milliards liés au fonds souverain malaisien 1MDB et à Jho Low.
Le TAF a rejeté le recours en 2023, confirmant l’existence de manquements graves à la LBA (art. 6 et 9 aLBA) et à l’organisation (art. 3 al. 2 let. a et 3f al. 2 LB). Le TF a rejeté le recours et confirmé l’ensemble de la décision, tout en apportant quelques précisions sur (i) la compétence de la FINMA, (ii) l’égalité et la proportionnalité de la sanction, ainsi que (iii) certains aspects procéduraux.
Sur le fond, l’arrêt 2C_368/2023 s’inscrit dans la continuité de l’arrêt 2C_747/2021, mais apporte quelques précisions et développements nouveaux.
Premièrement, le TF clarifie la portée territoriale de la LBA en combinant le critère du lien suffisant avec la Suisse et le principe de la surveillance consolidée. Il rappelle que la FINMA est compétente non seulement en raison de la localisation des fonctions compliance/KYC en Suisse (cf. arrêt 2C_747/2021, c. 9.3), mais aussi en vertu de la surveillance de groupe au sens de l’art.1 al. 1 let. d LFINMA, ce qui permet d’appréhender des situations où les opérations sont formellement « bookées » à l’étranger, mais supervisées depuis la Suisse (arrêt 2C_368/2023, c. 6.2 s.). Cette approche confirme que la compétence de la FINMA s’étend à l’ensemble des entités du groupe dès lors que les fonctions clés sont exercées depuis la Suisse, indépendamment du lieu de « booking » des opérations.
Deuxièmement, le TF traite explicitement la question de l’égalité de traitement en examinant un grief fondé sur une communication de la FINMA relative à un autre « top manager » du groupe BSI (c. 9 ss). La FINMA avait en effet annoncé qu’elle avait renoncé à prononcer une interdiction d’exercer sur la base de la renonciation crédible de ce « top manager » à exercer une activité dans le domaine de la finance dans une position managériale (c. 9.3). Le TF explique que la FINMA n’a pas à fournir toutes les raisons ayant motivé ce traitement distinct et ajoute que la (co-) responsabilité d’autres personnes dans les violations du droit de la surveillance ne joue, en principe, aucun rôle dans la fixation de la sanction. Il consacre la place de la prévention générale dans la proportionnalité de la sanction et confirme qu’une interdiction d’exercer demeure possible même si l’intéressé déclare renoncer à toute fonction future. La motivation sur l’aptitude et la nécessité de la sanction est densifiée, le TF s’appuyant sur la doctrine et précisant que la sanction vise aussi à protéger la confiance et la fonctionnalité du marché (c. 9.3).
Troisièmement, le TF apporte des précisions sur la motivation des décisions et le droit d’être entendu. Il reconnaît que l’absence de renvois précis dans l’arrêt du TAF aux actes de procédures devant la FINMA est regrettable, mais estime que cela ne constitue pas une violation du droit d’être entendu. En effet, le recourant a transmis au TF une copie de l’arrêt du TAF comportant des annotations manuscrites indiquant les références supposées aux actes en question. Ce faisant, l’argumentation du recourant se retourne contre lui, le Tribunal fédéral estimant, sur cette base, qu’il a pu exercer ses droits de défense de manière effective (c. 4.7).
Enfin, l’arrêt 2C_368/2023 aborde la question de la célérité de la procédure. Le TF procède à un examen concret du grief tiré de l’art. 29 al. 1 Cst., en se référant à la limite supérieure de six ans en droit des cartels, et conclut que la durée de la procédure devant le TAF (in casu 3 ans et 8 mois) reste admissible au vu de la complexité du dossier.
Sur la base des informations disponibles publiquement, cet arrêt semble mettre un point final à la saga des procédures d’enforcement basées sur le droit de la surveillance à l’encontre des anciens organes de BSI.
En pratique, il ressort de cette jurisprudence que, pour les groupes financiers internationaux, le fait que le siège et la fonction compliance de groupe soient localisés en Suisse entraîne quasi mécaniquement l’application de la LBA et, par extension, la compétence de la FINMA, même pour des centres de « booking » sis à l’étranger.
En matière de gouvernance, la qualité des rapports de risques et la véracité des informations transmises à la FINMA (art. 29 LFINMA) engagent personnellement la responsabilité des dirigeants signataires (c. 8.1). Sur le plan de la défense, il ne suffit pas de contester globalement la chaîne d’autorisation, d’invoquer les audits externes ou l’inaction initiale de l’autorité ; il est nécessaire de démontrer, pièces à l’appui, l’absence d’un des éléments d’imputabilité (c. 8.1 ss).
Enfin, s’agissant de la sanction, le renoncement à une activité future doit être crédible et ne pas varier en procédure (c. 9.3). Il ne neutralise pas la prévention générale. La durée de l’interdiction d’exercer peut atteindre le haut de la fourchette maximale de 5 ans lorsque la gravité des faits et l’absence de prise conscience persistent. Vu la durée de la procédure, on constate avec du recul que le recourant aurait pu demander que l’interdiction d’exercer soit appliquée immédiatement. En effet, la sanction ne prend effet que maintenant, plus de six ans après avoir été décidée.
L’auteur remercie Me Enzo Bastian pour sa contribution au présent commentaire.