Exercice d'une activité sans autorisation
La conséquence est la liquidation forcée
Romain Dupuis
Dans un arrêt récent destiné à la publication (arrêt 2C_597/2024 du 16 septembre 2025), le Tribunal fédéral confirme la liquidation d’une société ayant exercé une activité de maison d’émission (cf. art. 3 al. 2 aOBVM) (actuelle maison de titres, cf. art. 44 al. 1 let. c LEFin) sans autorisation.
La société A, fondée en 2015 par C, est active dans la vente d’abonnements pour des biens recyclables. Peu après la création de la société, C vend 80 % du capital-actions, à la valeur nominale de CHF 0.01 par action, à D et E. Ces trois personnes, qualifiées d’« actionnaires de référence » dans l’arrêt, occupent successivement des positions clés au sein du conseil d’administration de la société, de sorte qu’elles exercent ensemble une influence déterminante sur les décisions entrepreneuriales.
Dès 2017, les trois actionnaires de référence vendent de manière coordonnée une grande quantité d’actions de la société à des tiers. En pratique, les actionnaires de référence vendent dans un premier temps leurs actions à la société A (qui rachète donc ses propres actions), laquelle les revend immédiatement à des investisseurs tiers à un prix jusqu’à 550 fois supérieur à la valeur nominale.
À la suite d’une dénonciation, la FINMA ouvre une procédure d’enforcement à l’encontre de la société A et des trois actionnaires de référence. Elle considère que ceux-ci, agissant comme un groupe, ont exercé une activité de maison d’émission ou maison de titres sans autorisation. Elle prononce par conséquent la liquidation de la société A, confirmée par le Tribunal administratif fédéral.
Saisi d’un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral examine tour à tour les questions suivantes :
1. Conséquences d’une scission en cours de procédure : au cours de la procédure devant le Tribunal fédéral, la société A est scindée (séparation au sens de l’art. 29 let. b LFus). Une société B, issue de la société A, est donc inscrite au registre du commerce et reprend une partie des actifs et passifs. La société A continue toutefois d’exister.
Le Tribunal fédéral qualifie la scission de « succession universelle partielle », soit une succession de plein droit limitée quantitativement aux actifs et passifs faisant l’objet de l’inventaire de scission.
Le Tribunal fédéral constate en l’espèce que la décision de liquidation de la FINMA ne vise formellement que la société A. Il rappelle toutefois que – du point de vue du droit de la surveillance – ce n’est pas la liquidation en tant que telle qui est déterminante, mais bien la cessation de l’activité illicite. Par conséquent, le Tribunal fédéral retient que la décision de liquidation vise, d’un point de vue matériel, tous les moyens servant à l’activité illicite et donc l’ensemble des actifs et passifs de la société. Il en découle que la société B est directement concernée par la décision de liquidation et est devenue de plein droit partie à la procédure de recours.
2. Notion de « groupe » en droit de la surveillance : selon la jurisprudence constante, il convient d’adopter une approche uniforme lorsqu’il existe des liens économiques, organisationnels et personnels étroits entre différentes personnes et/ou sociétés qui agissent de manière coordonnée. Cette approche globale vise à éviter que l’obligation d’autorisation puisse être contournée par le fait que chaque membre du groupe, pris individuellement, ne remplit pas les conditions pour se voir imposer une telle obligation.
Le Tribunal fédéral considère en l’espèce que les liens sont suffisamment étroits pour conclure à l’existence d’un groupe formé par la société A et les trois actionnaires de référence. Il retient notamment que le groupe a établi une stratégie de vente coordonnée, selon laquelle la société n’acquérait ses propres actions auprès des actionnaires de référence que lorsque celles-ci avaient déjà été revendues à des actionnaires publics, démontrant une action commune.
3. Qualification en tant que maison d’émission (actuelle maison de titres) : selon l’art. 3 al. 2 aOBVM, « [s]ont réputés maisons d’émission les négociants qui, à titre professionnel, prennent ferme ou à la commission des valeurs mobilières émises par des tiers et les offrent au public sur le marché primaire ».
Le Tribunal fédéral examine sur cette base si le groupe a exercé une activité de maison d’émission (actuelle maison de titres) sans autorisation.
- Valeurs mobilières émises par des tiers : les recourants font valoir qu’il s’agit d’une émission de titres propres, non soumise à autorisation, dans la mesure où la société A vend en réalité ses propres actions. Le Tribunal fédéral balaie cet argument en considérant qu’au moment de la première offre au public, la société A est un tiers puisqu’elle agit en quelque sorte comme intermédiaire entre les trois actionnaires de référence et les actionnaires publics. Le rachat par la société A de ses propres actions avant leur revente à des investisseurs publics est qualifié d’acte préparatoire sans réelle importance économique.
- Offre sur le marché primaire : les recourants font valoir que la vente aux investisseurs publics a lieu sur le marché secondaire puisque les transferts d’actions préalables entre les membres du groupe doivent être considérés comme une transaction sur le marché primaire. Là encore, le Tribunal fédéral rejette l’argument en considérant que c’est bien la première offre au public qui est déterminante.
- Caractère professionnel : le Tribunal fédéral considère que le groupe a agi à titre professionnel dans la mesure où il a vendu, entre 2017 et 2022, des actions à plus de 100 investisseurs publics, générant des recettes de plus de CHF 12 millions, trois fois supérieures aux recettes de l’activité commerciale de la société pour la même période.
- Activité principale dans le domaine financier : le Tribunal fédéral constate enfin que C, l’un des membres du groupe, a exercé une activité principale dans le domaine financier puisqu’il a réalisé des revenus bien plus importants grâce aux ventes d’actions que pour son activité auprès de la société.
En conclusion, le groupe a effectivement exercé une activité de maison d’émission (actuelle maison de titres) sans autorisation, ce qui constitue une violation grave des dispositions prudentielles.
4. Liquidation : les recourants contestent finalement la proportionnalité d’une liquidation totale de la société A et considèrent qu’une liquidation partielle aurait été suffisante. Le Tribunal fédéral considère toutefois que la liquidation totale est la conséquence prévue par la loi pour l’absence d’autorisation (art. 36 aLBVM et art. 66 al. 1 LEFin), ne laissant en principe aucune marge d’appréciation à l’autorité de surveillance. Une liquidation partielle n’est possible que dans des circonstances particulières, par exemple lorsqu’il est possible de distinguer les actifs et passifs issus de l’activité soumise à autorisation de ceux issus de l’activité commerciale. Tel n’est en l’espèce pas le cas en raison de la comptabilité « chaotique » de la société, dont il ressort que toutes les recettes ont été mélangées sans égard à leur source (émission d’actions ou activité commerciale). Dans ces circonstances, seule une liquidation totale entre en ligne de compte.
Deux remarques en guise de conclusion :
- La FINMA et les tribunaux adoptent régulièrement une approche de « groupe » au sens réglementaire (cf. par exemple, dans un autre contexte, Raetzo, cdbf.ch/1366). Cette approche globale sert d’instrument contre l’abus de droit et vise à éviter que les acteurs qui contournent les exigences du droit des marchés financiers soient mieux traités que ceux qui se conforment à la loi, dans un objectif – louable – de protection des investisseurs. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une notion à géométrie variable, qui dépend largement du pouvoir d’appréciation de l’autorité et peut donc être la source d’une certaine insécurité juridique.
- Le nombre relativement important d’arrêts relatifs à l’exercice d’une activité de maison d’émission (actuelle maison de titres) sans autorisation démontre que les exigences réglementaires y relatives demeurent très méconnues des acteurs qui ne sont d’ordinaire pas actifs dans le domaine financier, mais qui déploient une activité dans ce domaine en marge de leur activité commerciale. Cela souligne l’importance d’obtenir un conseil juridique avisé avant de se lancer dans ce type d’activités, d’autant plus que les conséquences – en l’espèce une liquidation totale – peuvent être particulièrement lourdes.