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Sanctions internationales

Le blocage fondé sur l’Ordonnance Ukraine prime sur l’exécution forcée selon la LP

Par un arrêt 5A_802/2024 du 28 août 2025 (destiné à la publication), le Tribunal fédéral a tranché la question de savoir si les blocages ordonnés sur la base de l’ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine (Ordonnance Ukraine) priment l’exécution forcée selon la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP).

En juillet 2024, l’Office des poursuites zurichois a rendu une décision suspendant une procédure d’exécution forcée ouverte selon la LP. La procédure concernait des avoirs par ailleurs bloqués en application de l’art. 15 al. 1 de l’Ordonnance Ukraine. La suspension de la procédure d’exécution forcée se justifiait dans l’attente d’une décision du Secrétariat d’État à l’économie (SECO) quant à la réalisation des conditions d’une exception permettant de libérer les fonds convoités (art. 15 al. 5 Ordonnance Ukraine). La décision a été confirmée en première puis seconde instances cantonales en septembre et novembre 2024, respectivement (voir Pahud, cdbf.ch/1394). Le recours interjeté là-contre a été rejeté.

Pour répondre à la question de la priorité entre l’Ordonnance Ukraine et la LP qui se posait devant elle, la IIe Cour civile s’est penchée sur l’art. 44 LP, prévoyant que « [l]a réalisation d’objets confisqués en vertu des lois fédérales ou cantonales en matière pénale ou fiscale ou en vertu de la loi du 18 décembre 2015 sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite s’opère en conformité avec ces lois » et s’est demandé si cette disposition s’applique à l’Ordonnance Ukraine, bien qu’elle ne la mentionne pas expressément.

Le fondement de l’Ordonnance Ukraine était déterminant : il pouvait s’agir soit de l’art. 2 de la loi fédérale sur l’application de sanctions internationales (LEmb) soit, directement, de l’art. 184 al. 3 Cst., tous deux étant mentionnés dans le préambule de l’Ordonnance. Suivant le raisonnement de la cour cantonale, le TF a analysé tour à tour leurs rapports respectifs avec l’art. 44 LP.

S’agissant de l’art. 184 al. 3 Cst., il a rappelé que, dans un ATF 131 III 652, il avait déjà décidé que l’art. 44 LP s’appliquait aux blocages ordonnés sur la base d’ordonnances fondées sur cette disposition. Bien que rendue sous l’égide de l’art. 44 LP dans son ancienne teneur (« La réalisation d’objets confisqués en vertu des lois pénales et fiscales de la Confédération et des cantons s’opère en conformité des dispositions de ces lois ») et alors que la LEmb n’avait pas encore été adoptée, cette jurisprudence devait, sur la base d’interprétations téléologique et historique et conformément à l’avis de la doctrine en la matière, être maintenue (consid. 3.5 et 3.6).

S’agissant de l’art. 2 LEmb, le TF a décidé que, au regard de l’ATF 131 III 652 et de l’objectif poursuivi par la LEmb, les blocages prononcés sur cette base devaient être traités de la même manière que les mesures découlant de l’art. 184 al. 3 Cst. s’agissant de la relation avec la LP (consid. 3.7).

Puisque l’art. 44 LP doit être appliqué aux ordonnances prononcées sur la base tant de l’art. 184 al. 3 Cst. que de l’art. 2 LEmb, la question de savoir si l’Ordonnance Ukraine se fonde sur l’une ou l’autre disposition a été laissée ouverte. En effet, quel que soit le fondement de l’Ordonnance Ukraine, l’art. 44 LP fait primer son application. En d’autres termes, les blocages ordonnés sur la base de l’Ordonnance Ukraine priment l’exécution forcée selon la LP et la procédure doit demeurer suspendue dans l’attente de la décision du SECO.

On peut se demander si, au vu de la nature des blocages ordonnés dans le cadre des art. 184 al. 3 Cst. et 2 LEmb, à savoir un contexte de sanctions internationales, en particulier lorsqu’elles découlent d’obligations internationales de la Suisse, il est nécessaire de passer par l’exception prévue à l’art. 44 LP pour décider de la priorité du blocage ordonné par le SECO sur la procédure d’exécution forcée.