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Entraide internationale en matière pénale : qualité pour recourir de l'avocat, de la banque et de leurs clients

Dans un arrêt du 19 janvier 2004, le Tribunal fédéral se penche une fois de plus sur la question de la qualité pour recourir contre une mesure d’entraide pénale. L’arrêt est très intéressant en raison des circonstances particulières (pièces transmises par un avocat relatives à un client) et de certains développements du TF.
Une information judiciaire, ouverte en France contre R pour abus de biens sociaux et recel, s’intéresse à des commissions qui auraient été versées à L. A la demande du magistrat requérant français, un juge d’instruction genevois ordonne la saisie de documents relatifs à des transferts de fonds en main d’un avocat genevois. Ce dernier remet des pièces relatives à un versement de FF 1 mio, soit des extraits d’un compte client détenu par l’étude, des notes manuscrites, une facture d’honoraires ainsi qu’un reçu signé par L correspondant apparemment à la contre-valeur en francs suisses du montant. Le juge d’instruction décide de transmettre les documents à l’autorité requérante. L recourt à la Chambre d’accusation genevoise, puis en dernière instance au TF. Celui-ci déclare le recours irrecevable pour défaut de qualité pour agir, aux motifs suivants :
La qualité pour agir contre une mesure d’entraide judiciaire est reconnue à celui qui est personnellement et directement touché (art. 80h let. b EIMP et art. 21 al. 3 EIMP). Selon l’art. 9a OEIMP, sont notamment réputés personnellement et directement touchés le titulaire du compte en cas d’informations sur celui-ci et le propriétaire ou le locataire, en cas de perquisition. La jurisprudence constante refuse en revanche la qualité pour agir au détenteur économique d’un compte bancaire visé par la demande, ou à l’auteur de documents saisis en main d’un tiers même si la transmission des renseignements requis entraîne la révélation de son identité.
Le TF se penche plus particulièrement sur un argument soulevé par le recourant et tiré de la jurisprudence récente selon laquelle une banque n’est plus habilitée à recourir lorsqu’elle doit fournir des renseignements sur ses clients, et non sur ses propres affaires (ATF 128 II 211). Le recourant déduit de cette juriprudence que l’avocat appelé à fournir des renseignements ou documents qu’il détient à propos d’un client n’aurait pas, lui non plus, qualité pour agir. La qualité pour agir devrait par conséquent être reconnue au client, faute de quoi plus personne ne pourrait contester une décision de clôture de la procédure d’exécution de l’entraide.
Selon le TF, la jurisprudence invoquée, fondée sur l’adoption de l’art. 9a let. a OEIMP, est limitée aux cas dans lesquels la banque n’est pas touchée dans la conduite de ses propres affaires, la qualité pour agir lui étant toujours reconnue lorsqu’elle est, par exemple, elle-même titulaire d’un compte soumis aux investigations. Le TF semble être réticent à étendre l’application de cette jurisprudence aux avocats et fiduciaires, notamment en raison des difficultés quant à la notification des décisions : contrairement au titulaire d’un compte bancaire dont l’identité ressort des documents d’ouverture, l’identité du client de l’avocat ou du fiduciaire n’apparaît pas forcément d’emblée. Il est intéressant de relever que dans les considérants de l’ATF 128 II 211, le TF ne paraissait pas vouloir traiter différemment les banques des avocats, fiduciaires et gérants de fortune. Le TF considère toutefois qu’il n’a pas à trancher définitivement la question pour la solution du cas d’espèce.
En effet, les documents remis par l’avocat se rapportent essentiellement à un compte détenu et géré par son étude. Même s’il s’agit de montants détenus pour le compte d’un client, leur gestion constitue une activité propre de l’avocat et ce dernier pouvait recourir en se fondant sur l’art. 9a let. a OEIMP. Les documents comportent en outre une facture d’honoraires et des notes manuscrites révélant l’activité de l’avocat. Dans ce cas, seul le détenteur des documents a qualité pour s’opposer à leur transmission. Le simple fait que l’identité de L figure sur le reçu et la possibilité d’une révélation de son identité à l’autorité requérante ne constituent pas des motifs justifiant de lui reconnaître la qualité pour recourir.