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Le tribunal fédéral sanctionne le comportement contradictoire de la banque émettrice

Dans son arrêt du 3 juillet 2006 qui vient d’être publié (ATF 132 III 620), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur les conséquences de la disposition de documents par une banque qui les avait auparavant formellement refusés.
Le litige opposait la banque émettrice d’un crédit documentaire irrévocable à la banque confirmatrice. Celle-ci, après avoir payé le bénéficiaire contre la remise des documents, a débité le compte de la banque émettrice tout en lui expédiant les documents. Une fois en possession des documents, la banque émettrice a reproché à la banque confirmatrice d’avoir violé les dispositions des RUU 500 (article 13 b) sur l’examen des documents remis, jugeant ceux-ci non conformes aux conditions du crédit documentaire. La banque confirmatrice alléguait, pour sa part, que la banque émettrice avait violé l’article 14 e des RUU 500 en disposant des documents présentés après les avoir refusés dans un premier temps. En effet, en vertu de cet article, la banque qui ne tient pas les documents à disposition de celui qui les a présentés ou ne les lui réexpédie pas, ne pourra faire valoir la non-conformité des documents. Le Tribunal de commerce de Zurich a rejeté cet argument au motif que la prétendue utilisation des documents aurait consisté à déposer de la marchandise dans un entrepôt. Aux yeux de ce Tribunal, la banque émettrice n’aurait pas eu d’autres choix, vu que la banque confirmatrice n’était pas prête à reprendre les documents et compte tenu des coûts élevés qu’un retour de la marchandise aurait engendrés. Ce faisant, la banque émettrice n’aurait en outre pas créé un avantage injustifié au profit de l’acheteur. Considérant que les irrégularités qui entachaient les documents ne pouvaient être qualifiées d’insignifiantes, le Tribunal de commerce de Zurich a ordonné à la banque confirmatrice de restituer à la banque émettrice la somme débitée.
Le jugement a été annulé par le Tribunal fédéral et renvoyé à l’instance inférieure. Pour celui-ci, si l’utilisation des documents devait se confirmer, le comportement de la banque devrait être qualifié de contradictoire : tout en refusant les documents comme non-conformes, elle en a disposé, disposant ainsi de la marchandise elle-même. Un tel acte de disposition équivaut à l’acceptation desdits documents et prive le refus subséquent de ceux-ci de tout effet juridique, rappelle le TF, en se référant à son ancienne jurisprudence (ATF 90 II 302, JdT 1965 I 120). Comme dans cette dernière affaire, le fait que la marchandise aurait été entreposée n’a pas de pertinence, selon le TF.
L’interprétation adoptée par le TF doit être approuvée. Le fait que le bénéficiaire de l’accréditif ait été payé ne joue aucun rôle. L’art. 14 d ii RUU oblige la banque qui refuse les documents de les tenir à disposition de celui qui les a présentés, ou de les lui réexpédier, qu’il s’agisse du bénéficiaire lui-même ou de la banque qui avait négocié les documents. Le but de cette règle est de permettre à celui qui a présenté les documents de faire face à leur refus : soit en remédiant aux irrégularités, soit en trouvant un autre acheteur. Par conséquent, en l’absence de toute instruction/consentement venant du Presenter, dans un laps de temps raisonnable, la banque est tenue de restituer les documents refusés. (cf. Opinions R 421 et R 429, 1ère et 2ème questions, in ICC Banking Commission Collected Opinions 1995-2001 on UCP 500, UCP 400, URC 522 et URDG 458, Paris 2002).
Dans la pratique, certaines banques ont pris les devants en se réservant le droit de disposer des documents refusés, sauf instructions contraires de la part de celui qui les a présentés. Interpellée sur la validité d’une telle clause (cf. Opinion R 430 publiée dans l’ouvrage précité), la Commission bancaire de la CCI a estimé que celle-ci aboutirait à une dérogation aux RUU 500, possibilité offerte aux parties par l’article 1 des RUU 500. L’acte de présentation de documents équivaudrait à l’acceptation d’une telle clause. Sa validité devrait s’examiner, en revanche, au regard du droit applicable au crédit documentaire.
Cette affaire apporte des enseignements pour toutes les parties impliquées dans un crédit documentaire. S’agissant de la banque qui refuse les documents, seul le consentement exprès du Presenter peut l’autoriser à en disposer. Il serait tout de même intéressant de savoir si l’intervention d’une loi de police pourrait modifier ce constat. En effet, l’état de fait de l’ATF 132 III 620 évoquait l’existence, dans le pays de l’acheteur, d’une loi sur les importations qui exigeait, selon la banque, la revente de la marchandise, expliquant ainsi la nécessité d’entreposer celle-ci dans un dépôt. La nouvelle décision du Tribunal de commerce de Zurich apportera peut-être une réponse. Quant à ceux qui présentent les documents, si l’accréditif contient une clause s’écartant de la répartition des obligations telle qu’énoncée à l’article 14 d ii des RUU, une réaction prompte de leur part serait de mise, et ce, dès la première évocation de la non-conformité des documents.