Aller au contenu principal

Pas d'obligation pour la banque de s'informer de la situation financière de son client avant de lui proposer des produits à risque

Le Tribunal fédéral a rendu le 4 janvier 2007 un arrêt de principe, destiné à publication (4C.270/2006), dans lequel il a eu l’occasion d’examiner la portée de l’art. 11 LBVM. L’état de fait était le suivant : le client d’un établissement bancaire disposait d’un portefeuille titres d’une valeur totale de DM 730’000. Grâce à un crédit lombard consenti par sa banque, il disposait au total de près de DM 1’100’000 pour procéder à des placements en actions dans le domaine de la nouvelle technologie. Il avait subi des pertes massives puisque deux ans et demi plus tard la valeur de son portefeuille était tombé à USD 40’000. Or, il s’agissait des seules ressources financières du client, lequel ne disposait par ailleurs d’aucune prévoyance telle que l’AVS, ce que la banque ignorait. Le client avait attaqué la banque en dommages-intérêts en faisant principalement valoir que la banque avait violé son devoir de diligence en ne s’informant pas de sa situation personnelle, ce qui l’aurait conduit à lui déconseiller de procéder à des opérations spéculatives. Enfin, il faut relever que la banque avait agi dans le cadre d’une relation de conseil en placements vis-à-vis de son client ; elle avait remis à son client une information standardisée sous la forme de brochures relatives aux risques dans le commerce des valeurs mobilières et des transactions sur dérivés et à terme.
Notre Haute Cour a d’abord examiné – et c’est l’intérêt principal de cet arrêt – si l’art. 11 LBVM imposait à la banque une obligation de se renseigner sur la situation patrimoniale de son client.
L’art. 11 al. 1 lit. a LBVM prévoit que « le négociant a envers ses clients un devoir d’information : il les informe en particulier sur les risques liés à un type de transaction donné » ; quant à l’art. 11 al. 2 LBVM, il précise que ce faisant, le négociant, doit tenir compte de l’expérience de son client et de l’état de ses connaissance dans les domaines concernés. Le Tribunal fédéral a dans un premier temps rappelé que, selon la doctrine dominante, les règles de conduite prescrites par cette disposition relevaient en premier lieu du droit public, quand bien même elles poursuivaient également un but de droit privé. L’art. 11 LBVM est en effet une norme double dont les parties au contrat peuvent se réclamer et que les autorités appliquent d’office. Ces règles de conduite ne sont pas à la libre disposition des parties, lesquelles ne peuvent, par contrat, en exclure l’application.
Le devoir d’information prévu à l’art. 11 al. 1 lit. a LBVM signifie que le négociant doit informer son client sur les risques liés – en soi – à un type de transaction donné, mais ne lui fait en revanche aucune obligation de prévenir le client quant aux risques relatifs à une transaction particulière. Cette information peut être donnée sous une forme standardisée. En pratique, ces informations sont généralement données au moyen de brochures exposant les risques liés à certaines opérations financières (Risk Disclosure Statements).
Ayant rappelé ces principes, le Tribunal fédéral a précisé que l’art. 11 LBVM n’exige pas du négociant qu’il s’informe de la situation financière de son client, ni qu’il examine si une transaction est appropriée pour un client donné (examen dit de la « suitability« ). Un tel devoir d’évaluation du client, aux fins de déterminer l’adéquation des services et instruments financiers offerts avec les besoins et la situation personnelle de ce dernier, ne peut être déduit de l’art. 11 LBVM. La doctrine de la suitability, développée en droit anglo-américain et reprise en droit européen (voir l’art. 19(4) de la directive européenne no. 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers (MIF) (Markets in Financial Instruments Directive (MIFID)), est étrangère à la LBVM. Le Tribunal fédéral a donc rejeté une interprétation extensive de l’art. 11 LBVM qui aurait pu conduire les banques et les négociants en valeurs mobilières suisses à devoir s’aligner sur le régime établi en droit européen.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a estimé que la banque avait valablement informé son client en lui remettant une documentation standardisée sur les risques liés aux opérations projetées. Il est vrai que la banque ne s’était pas informée de la situation financière de son client ; cela étant, elle n’y était pas tenue en vertu de l’art.11 LBVM.
Le Tribunal fédéral a ensuite examiné si la banque avait violé ses devoirs de diligence et de fidélité dans la cadre de la relation de conseil en placements (contrat de mandat) qui la liait à son client.
Il a d’abord souligné qu’une banque agissant comme conseiller en placements, n’était pas astreinte à un devoir général de veiller aux intérêts de son client et qu’elle ne devait le conseiller qu’à sa demande. Le devoir d’information à charge de la banque se mesure d’après les connaissances et l’expérience du client ; si celui-ci connaît les risques liés aux opérations spéculatives qu’il veut entreprendre, il n’a besoin d’aucun éclaircissement. En revanche, s’il est perceptible sans autre que le client n’a aucune idée des risques, la banque doit attirer son attention sur ces derniers. Enfin, les exigences relatives au devoir d’information sont accrues lorsque le client ne spécule pas seulement avec ses propres avoirs, mais également avec des montants qui lui ont été prêtés par la banque.
Notre Haute Cour a encore rappelé qu’il n’existait fondamentalement aucun devoir d’information à charge de la banque lorsque son client lui donne de manière inconditionnelle des instructions ciblées de placement ou lorsque celui-ci montre qu’il n’a pas besoin de l’information et des conseils de la banque, ni ne les souhaite. Ce n’est que dans des cas exceptionnels qu’un devoir d’information s’impose à la banque, soit lorsque celle-ci, en faisant preuve de l’attention requise, a reconnu ou aurait dû reconnaître que le client n’a pas identifié un danger déterminé lié au placement, ou lorsqu’un rapport particulier de confiance s’est développé dans la cadre d’une relation d’affaires durable entre le client et la banque en vertu duquel le premier peut, sur la base des règles de la bonne foi, attendre conseil et mise en garde même s’îl n’a rien demandé.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que la banque avait non seulement un devoir d’informer son client sur les risques liés à des opérations envisagées, mais un devoir de mise en garde. Cela étant, la banque n’avait nullement violé les devoirs de diligence qui lui incombaient en sa qualité de conseiller en placements, puisqu’elle avait attiré l’attention de son client sur les risques liés aux opérations spéculatives sur actions et l’avait même averti à réitérées reprises, sans obtenir que le client renonce à ses investissements spéculatifs dont il décidait lui-même.