Le TF confirme une violation de la législation sur les jeux et paris

Lucia Gomez Richa
Dans un arrêt du 19 février 2007 (2A.529/2006)destiné à publication, le Tribunal fédéral s’est prononcé (recours de droit administratif) sur la légalité d’un produit structuré sous l’angle de la législation fédérale en matière de jeux et de paris. A l’heure où la réglementation suisse en matière de produits structurés commence à prendre forme, notamment s’agissant de leur régime réglementaire (cf. Actualités N°501 et N°456), notre Haute Cour a rappelé que ces derniers sont soumis à d’autres limites légales.
Les faits peuvent se résumer comme suit. A l’occasion de la Coupe du monde de football 2006, Nomura Bank International PLC, a émis un produit structuré dont la banque Credit Suisse SA était la distributrice pour la Suisse et qui devait être acquis jusqu’en mai 2006. Le produit présente la particularité que son rendement est en partie lié aux résultats de l’équipe nationale suisse dans le championnat. En effet, à son échéance (30 avril 2007), les termes contractuels prévoient que son acquéreur sera titulaire :
– d’une créance en remboursement de tout ou partie du capital investi plus intérêt sur ce capital à 13,5 % ainsi que,
– d’un coupon bonus d’intérêt supplémentaire sur le capital en fonction des performances de l’équipe nationale suisse dans le championnat.
Les jeux de hasard et les loteries sont régis par la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeu (LMJ) et par la loi fédérale sur les loteries et les paris professionnels (LLP). La LLP est une lex specialis par rapport à la LMJ pour les jeux de hasard répondant à la définition d’une loterie ou d’un pari professionnel. Les jeux de hasard soumis à la LMJ ne peuvent être proposés que par des maisons de jeu concessionnaires pour autant qu’ils figurent sur la liste des jeux autorisés par le Conseil fédéral. Les loteries et paris professionnels régis par la LLP font, quant à eux, l’objet d’une prohibition générale. Sont exceptés de celle-ci les tombolas, les loteries et autres opérations analogues à des fins d’utilité publique ou de bienfaisance, les emprunts à primes répondant aux conditions fixées par la LLP ou, encore, les paris professionnels « au totalisateur » pour autant que ces derniers soient autorisés par le droit cantonal.
Le Tribunal fédéral a, tout d’abord, estimé que les deux « volets » du produit structuré — créance en remboursement du capital plus intérêt, d’une part, et coupon bonus, d’autre part — ne pouvant être acquis séparément, devaient recevoir une qualification globale au regard tant de la LMJ que de la LLP.
Il a ensuite jugé que le produit structuré présentait les caractéristiques d’un « jeu de hasard » selon la LMJ, dès lors que l’espoir de gain dépend, s’agissant de l’octroi du coupon bonus, uniquement des résultats de l’équipe nationale durant la Coupe du monde, soit d’un évènement ludique dont la survenance est essentiellement liée au hasard. Dès lors que les recourantes ne sont pas au bénéfice d’une autorisation de maison de jeu, un tel produit est interdit à moins qu’il ne puisse être qualifié de loterie ou pari professionnel et réponde aux conditions aux quelles la LLP autorise de tels jeux.
Tel n’est pas le cas selon le Tribunal fédéral qui a estimé que le produit structuré ne pouvait bénéficier d’aucune des exceptions à la prohibition générale de la LLP. Il n’a, en particulier, pas retenu la qualification de pari professionnel « au totalisateur », qui se caractérise par le fait que le montant total des mises des investisseurs est acquis par le vainqueur ou partagé entre les vainqueurs selon des proportions préétablies.
Il a considéré, au contraire, que le produit structuré répondait à la qualification de « pari professionnel » prohibé. En effet, le coupon bonus constitue un pari sur des parties de football, soit un pari qui est interdit par l’article 33 LLP au même titre que ceux sur courses de chevaux, régates et autres manifestations analogues. Il a pour effet de transformer la nature du produit dans son ensemble qui devient alors principalement ludique. Le fait que les investisseurs n’aient jamais encouru un quelconque risque de pertes financières liées aux résultats du championnat et le caractère promotionnel du coupon bonus ne sont, selon le Tribunal fédéral, pas pertinents.
Il convient de saluer le caractère préventif de cet arrêt. En effet, nonobstant les doutes du Tribunal fédéral quant à l’existence d’un « intérêt actuel » des recourantes, les conditions liées à l’octroi du coupon bonus ne s’étant pas réalisées, ce dernier est entré en matière en raison de la portée de principe du cas d’espèce et de la possibilité que des produits similaires soient mis sur le marché à l’avenir.
Enfin, la conclusion de notre Haute Cour, qui nous paraît justifiée, ne doit pas faire oublier le caractère exceptionnel de cette affaire. En principe, les dérivés et les produits structurés sont admis par le droit suisse. Les seconds se caractérisent par des possibilités presque infinies de combinaisons entre différents types d’instruments financiers. Il faudra à l’avenir se souvenir qu’il est interdit d’insérer dans ceux-ci une composante de gain liée à un évènement ludique, pari sportif ou manifestation analogue.