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Constatation d'une action de concert, intérêt digne de protection, intérêt juridique actuel et procédure administrative

C’est une étrange décision qu’a prise le Tribunal administratif fédéral dans l’affaire Martin Ebner et Scor SE contre la Commission fédérale des banques . Cet arrêt rendu le 22 décembre 2008 s’inscrit dans le cadre de l’offre publique d’acquisition de Scor SE sur Converium Holding AG pendant laquelle la Commission des OPA puis la Commission fédérale des banques ont formellement constaté que Scor et Martin Ebner agissaient de concert, ce que contestaient les intéressés. Si le lecteur s’attendait à une clarification de la notion d’action de concert ou une leçon sur la géométrie variable de ce concept dans le droit boursier, il sera déçu : seul le considérant 3.2 confirme que la concertation en vue d’une OPA doit être reconnue avec plus de retenue que celle applicable dans le contexte de la publicité des participations. Le restant des quarante pages de l’arrêt est consacré à des questions de procédure, preuve en est que le temps d’un droit des OPA informel est révolu.
Dans un premier temps, le Tribunal administratif fédéral a admis la qualité pour recourir de Martin Ebner et Scor, qui était contestée avant tout par la Commission des OPA au motif que, dans la mesure où l’offre était achevée et qu’il était établi qu’ils avaient respecté leurs devoirs résultant du droit des offres publiques d’acquisition, ils n’avaient pas d’intérêt digne de protection à l’annulation de la décision. Pour la juridiction administrative, un intérêt de fait actuel était donné, parce que, notamment, les recourants étaient atteints dans leur honneur par les constations des instances inférieurs qui impliquaient que les recourants avaient violé leurs devoirs, atteinte aggravée par l’écho médiatique de l’affaire.
S’agissant de la nature de la décision, le Tribunal administratif fédéral a considéré qu’une simple constatation était admissible. Premièrement, cette tâche revenait aux autorités de surveillance boursière qui, de par leur mission légale, ont intérêt à vérifier le respect du droit des offres publiques d’acquisition et de garantir la transparence nécessaire aux investisseurs. Deuxièmement, la reconnaissance de l’existence d’une action de concert donnant lieu à de nombreux effets de droit matériel, il était peu indiqué de procéder par une décision condamnatoire énumérant tout les devoirs s’imposant aux concertistes.
Puis, s’approchant du fond de l’affaire, sans y entrer vraiment, la juridiction administrative fédérale a conclu que dans la mesure où l’offre avait abouti et que les recourants avaient respecté leurs devoirs en qualité d’offrant, ils n’avaient plus d’intérêt juridique actuel et l’objet du litige avait disparu. Partant, il pouvait être mis fin au litige sans entrer sur le fond. Cette conclusion s’imposait également au regard de l’atteinte à la réputation des recourants : leur honneur n’était pas affecté par la constatation de l’action de concert au sens du droit des offres publiques d’acquisition. De plus, dans la mesure où le soupçon concernait une action de concert lors de la prise de participation à l’orée de l’offre, la procédure en cours ne pouvait remédier à une éventuelle atteinte à l’honneur, puisque cette question ressort de la qualification d’action de concert aux fins des règles sur la publicité des participations et non aux fins de celles du droit des offres publiques d’acquisition.
En synthèse, la décision du Tribunal administratif fédéral laisse perplexe : d’abord, pourquoi est-il entré en matière et admis l’existence d’un intérêt digne de protection pour ensuite considérer que l’objet du litige avait disparu et que les parties n’avaient pas d’intérêt juridique (qui, contrairement à ce qui se passe en matière civile, n’est pas requis par le droit de la procédure administrative) ? De même, s’agissant de la question de la réputation des recourants, il est étrange que le Tribunal administratif fédéral reconnaisse que ce motif suffise à donner un intérêt suffisant à justifier l’entrée en matière, mais en même temps conclue, au fond, que la réputation n’est pas mise en péril par la constatation de l’existence d’une action de concert en vue d’une offre publique d’acquisition.
En définitive, cet arrêt pose la question de l’effectivité des voies de droit ouvertes au justiciable : en décidant qu’un comportement constitue une action de concert, les autorités décisionnelles imposent à l’offrant et son supposé concertiste des obligations importantes. Compte tenu des délais courts pendant lesquels une offre publique d’acquisition doit se dérouler et des conséquences d’une éventuelle violations de ces obligations, ces derniers n’auront souvent pas d’autre choix que de se conformer. Avec cet arrêt, cette conséquence est aggravée, car, en refusant de reconnaître un intérêt juridique aux parties, le Tribunal administratif fédéral prive les parties d’un contrôle judiciaire qui aurait au moins le mérite de leur donner raison a posteriori. Cette conclusion est cohérente avec notre droit administratif, mais son effet est ainsi regrettable.