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Entraide administrative en matière boursière

Qualité pour recourir et étendue des informations susceptibles d'être communiquées

Le 23 novembre 2011, la FINMA a publié son Bulletin 2/2011 (« Bulletin ») compilant une série de décisions de la FINMA et d’arrêts du Tribunal administratif fédéral (TAF) susceptibles, selon la FINMA, « d’avoir un impact sur le développement et la pratique ». Cette actualité présente quelques éléments de l’ATAF 2010/26 du 15 février 2010 (Bulletin, p. 102 ss) et de l’arrêt du TAF B-5053/2010 du 29 septembre 2010 (Bulletin, p. 124 ss), le format de l’actualité imposant des choix.
I. L’arrêt B-5053/2010 concerne un gérant de fortune indépendant fondé de pouvoir et ayant droit économique de la société panaméenne A. Ce gérant a acquis pour la société A et certains de ses clients des titres d’une société B cotées aux bourses de Chicago, Philadelphie et New York (« Titres B »), l’un des employés du gérant ayant passé les ordres d’achats. Sur requête de la Securities and Exchange Commission américaine (SEC) visant la transmission d’informations et de documents en lien avec une enquête sur le négoce des Titres B, la FINMA a accordé l’entraide administrative à la SEC et confirmé que celle-ci pouvait au demeurant transmettre les informations et documents reçus à la Commissione Nazionale italiana per le Societa e la Borsa italienne (CONSOB) et la Banca d’Italia. La société A, le gérant et son employé ont tous trois recouru.
Le TAF reconnaît la qualité pour recourir de la société A au sens de l’art. 48 I PA, la société A ayant en effet pris part à la procédure devant la FINMA, étant « spécialement atteinte par la décision et [ayant] incontestablement un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification » (B-5053/2010, c. 2.2). Le TAF rejette en revanche la qualité de partie de l’employé du gérant dont il était prévu que le nom soit transmis à la SEC et à qui la FINMA avait elle-même refusé la qualité de partie. L’employé n’est en effet touché que de manière indirecte par la mesure d’entraide, seul son employeur disposant d’un intérêt légitime à prendre part à la procédure d’entraide en qualité de partie. Le TAF relève à cet égard que le « seul fait que la décision entreprise laisse apparaître que [l’employé] ait passé certains ordres d’achat et de vente ne s’avère pas suffisant pour lui reconnaître la qualité de partie. » Ce faisant, le TAF confirme la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle le seul fait pour un tiers titulaire d’une procuration sur un compte bancaire d’apparaître nommément dans un document transmis à l’autorité requérante ne suffit pas à lui conférer la qualité pour recourir (B-5053/2010, c. 2.4 et la jurisprudence citée ; voir ATF 127 II 323).
Le TAF aborde la qualité pour recourir du gérant en deux temps. Il exclut qu’elle puisse découler de sa qualité d’ayant droit économique du compte bancaire dont la société A était titulaire, sur la base de la jurisprudence constante selon laquelle l’ayant droit économique d’un compte bancaire visé par une requête d’entraide administrative ou pénale internationale n’a en principe pas qualité pour recourir. Cela étant, le TAF reconnaît au gérant la qualité pour recourir en application de la jurisprudence (ATF 127 II 323) selon laquelle le secret bancaire ou le secret des négociants en valeurs mobilières couvre la question de savoir si et en faveur de qui existe un mandat de gestion, si bien que lorsque l’identité du gérant est révélée à l’étranger dans le contexte d’une entraide administrative, c’est la relation particulière existant avec le client qui est touchée. Dans ces conditions, le gérant se trouve dans un rapport plus étroit avec l’objet de la contestation que n’importe quel autre tiers et détient un droit propre à être protégé juridiquement même si la transaction a lieu économiquement en faveur du détenteur du compte, en particulier lorsque l’identité de ce dernier n’est pas dévoilée. Le TAF relève de surcroît que le gérant dispose en l’espèce d’un mandat de gestion discrétionnaire clair, écrit et sans équivoque (selon les exigences posées par le TF). Le gérant jouit ainsi d’un droit propre à être protégé juridiquement en tant que l’entraide est « directement dirigée contre lui dès lors que sa propre identité doit être révélée à la SEC et que ses clients ont été qualifiés de tiers non impliqués » (B-5053/2010, c. 2.3.2).
II. L’ATAF 2010/267 concerne deux requêtes d’entraide administratives internationales en matière boursière adressées à la Suisse par la SEC et la British Columbia Securities Commission (Canada, BCSC) en lien avec des soupçons de manipulation du cours de l’action d’une société M cotée aux USA. La requête de la SEC portait sur des transactions effectuées par l’intermédiaire de la société X tandis que celle de la BCSC concernait des transactions effectuées par les sociétés X, Y et Z et impliquant K et L, deux « stock promoters » canadiens résidant au Canada et ayants droit économiques des comptes bancaires concernés par la demande d’entraide. La SEC et la BCSC motivaient leurs soupçons initiaux en expliquant que le cours de l’action M avait subitement augmenté après une division d’actions sans qu’aucune information commerciale ne justifie cette augmentation tandis que des citoyens canadiens étaient encouragés à acquérir des petits paquets d’actions M. La FINMA a joint ces deux requêtes et octroyé l’entraide, ordonnant la transmission des informations sollicitées ainsi que la transmission spontanée à la SEC des informations plus complètes sollicitées par la BCSC. Les sociétés titulaires des comptes bancaires concernés ont recouru, arguant notamment de ce que les demandes contrevenaient au principe de proportionnalité. Le TAF confirme que les conditions de l’entraide sont remplies s’agissant des deux demandes d’entraide.
Quant à l’argument tiré d’une prétendue violation du principe de proportionnalité, le TAF rappelle la jurisprudence connue selon laquelle que la FINMA n’a pas à se montrer trop exigeante pour admettre l’existence d’un soupçon initial de violation de la réglementation sur les bourses dès lors qu’au moment du dépôt de la demande d’entraide ou de la transmission des informations requises, il n’est souvent pas encore possible de déterminer si celles-ci seront utiles à l’autorité requérante ou non (principe dit de « l’utilité potentielle »). En général, il suffit ainsi que l’autorité requérante démontre de manière adéquate que les informations requises sont de nature à servir à l’avancement de son enquête, ce qui implique concrètement d’exposer un état de fait laissant apparaître un soupçon initial, de donner les bases légales de la requête et de décrire les informations et documents nécessités. La FINMA doit alors uniquement examiner s’il existe suffisamment d’indices de possibles distorsions du marché et ne peut refuser la coopération internationale que si les actes requis sont sans rapport avec d’éventuels dérèglements du marché et manifestement impropres à faire progresser l’enquête de sorte que ladite demande apparaît comme le prétexte à une recherche indéterminée de moyens de preuve (fishing expedition). Le TAF considère en l’espèce que la SEC et la BCSC étaient fondées à nourrir des soupçons de violation des règles de marché.
Sur requête subsidiaire des recourantes, le TAF examine la possibilité de limiter les informations transmises aux seules informations datant d’une période proche de la date d’augmentation du cours de l’action M au motif qu’elles n’auraient sinon aucun rapport avec l’événement litigieux. De manière générale, le TAF relève à cet égard que la jurisprudence en matière d’entraide boursière ne retient aucune limite temporelle abstraite au-delà de laquelle le rapport entre les informations transmises et les faits investigués ferait défaut. L’analyse doit être concrète et le TAF relève avoir déjà jugé qu’une période d’une année était acceptable. Le TAF rappelle que l’autorité requérante bénéficie d’une marge d’appréciation dans la détermination des informations dont elle a besoin et que la FINMA ne saurait remettre cette appréciation en question, sous réserve d’abus. Le TAF va plus loin en affirmant qu’une augmentation de cours ne peut être examinée isolément et qu’en matière de manipulation de marché, il faut s’attendre à ce que des transactions soient passées avant et après l’augmentation de cours litigieuse. Dans le cas d’espèce, le TAF admet la transmission de documentation datant de six à sept mois avant l’événement litigieux.
Examinant la question de savoir si les objections des recourantes sont de nature à infirmer les soupçons de la SEC et de la BCSC, il est intéressant de noter que le TAF relève que ni le volume des transactions, ni leur résultat (perte / gain) ne sont de nature à affecter l’existence de soupçons et que l’analyse des explications commerciales détaillées fournies par les recourantes est une tâche qui revient aux autorités requérantes dans le contexte des procédures menées par elles, non à la FINMA.
Enfin, le TAF rappelle que l’entraide administrative internationale en matière boursière permet à la FINMA de fournir des informations de manière spontanée et que l’identité d’objets des enquêtes de la SEC et de la BCSC justifiait en l’espèce la transmission des mêmes informations aux deux autorités.