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Contrat de conseil en placement

Responsabilité de la banque pour informations incomplètes au sujet d'un fonds de placement étranger

Le Tribunal fédéral devait examiner, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt rendu le 3 novembre 2011 (4A_274/2011) non destiné à la publication, la question de savoir dans quelle mesure et sur quelle base légale une banque suisse pouvait être tenue responsable d’indications imprécises, voire incomplètes relatives à un fonds de placement étranger.
L’état de fait sous-jacent à cette affaire était, dans les grandes lignes, le suivant : le fondateur et animateur d’un fonds de placement bahamien spécialisé dans le redressement de sociétés en difficulté et le développement de nouvelles entreprises, de même que ledit fond de placement (ci-après les recourants), étaient devenus clients d’une banque suisse disposant d’une filiale aux Bahamas. Cette banque avait proposé aux recourants de racheter des parts d’un autre fonds de placement fermé, également sis aux Bahamas (le fonds F.). A cet effet, la banque leur avait remis un prospectus, puis un fascicule de 18 pages relatif audit fonds qu’elle avait établi elle-même. Ce dernier document excluait toute garantie de la banque quant à l’exactitude des informations données et à la valorisation du fonds. Dans un courrier d’accompagnement, requis par les recourants pour être certains qu’ils acquéraient des parts d’une société sans dettes, la banque avait encore confirmé que ni le fonds F. ni les sous-sociétés (détenues par ce dernier) n’avaient les moindres dettes ou actifs hormis ceux résultant de la détention de certaines actions. Les actions du fonds avaient donc été acquises par les recourants.
Par la suite, les recourants ont déposé action auprès du Tribunal de première instance de Genève en faisant valoir un certain nombre de griefs contre la banque suisse (intimée). Ils prétendaient notamment que le prix de vente des parts de F. avait été surévalué et que l’existence d’un prêt accordé par la banque intimée au fonds F. n’avait pas été divulgué au moment de l’acquisition des parts. Déboutés par le Tribunal de première instance puis par la Cour de Justice, les recourants ont interjeté recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral.
Les recourants avaient donc acquis, par l’entremise de la banque intimée sise en Suisse, des parts d’un fonds de placement ayant son siège aux Bahamas. Comme ils se plaignaient d’avoir reçu des informations erronées sur les dettes et les frais de gestion du fonds et critiquaient la gestion du fonds, dès lors que des frais excessifs auraient été facturés et des actifs surévalués, se posait d’abord la question de l’applicabilité de la réglementation suisse relative aux placements collectifs. L’ancienne Loi sur les fonds de placements (LFP) prévalant au moment des faits litigieux ne pouvait s’appliquer dès lors que la condition de l’existence d’un appel au public en Suisse – nécessaire à l’application de la LFP à un fonds étranger – n’était pas réalisée dans le cas d’espèce. Quant à la nouvelle Loi sur les placements collectifs des capitaux (LPCC), entrée en vigueur après les faits litigieux, elle ne pouvait non plus trouver application. Le Tribunal fédéral devait donc rechercher d’autres fondements à la responsabilité de la banque en distinguant entre d’une part les activités d’information aux investisseurs et d’autre part les activités de gestion du fonds.
En ce qui concerne, en premier lieu, la responsabilité de la banque pour les informations données, les recourants étaient d’avis qu’il convenait de retenir non pas un contrat de conseil en placement, mais un contrat innomé sui generis assorti d’obligations spécifiques de résultat et de garantie. Tout en admettant que leur relation avec la banque comportait un aspect de conseil en placement, les recourants soutenaient que l’opération d’investissement étant organisée au moyen d’une structure complètement contrôlée par la banque, le contrat ne se limitait pas à la simple recommandation d’investir mais conférait des garanties notamment quant à l’absence de dettes.
L’examen de cette question a donné au Tribunal fédéral l’occasion de rappeler que dans le contrat de conseil en placement la banque conseille son client à propos de la gestion de ses avoirs, mais que ce dernier décide lui-même des opérations à effectuer. Le service que rend la banque comprend un aspect de renseignement et un aspect de conseil. Les devoirs et la responsabilité du conseiller en placements s’apprécient selon les règles du mandat au sens des art. 394 ss CO. La banque qui présente divers fonds de placement à son client déjà détenteur d’un compte et lui prodigue conseils et avis est soumise à de telles règles. L’information donnée doit être exacte, compréhensible et complète, la banque devant renseigner son client sur tous les points susceptibles d’influer la décision de ce dernier.
Ces principes étant rappelés, notre Haute Cour écarte l’argument développé par les recourants. En effet, si la banque pouvait, en raison de ses liens avec le fonds de placement F., disposer d’informations étendues sur les caractéristiques de l’investissement – ce qui était propre à influer sur sa responsabilité en matière de renseignements donnés –, elle n’assumait pas pour autant, de par sa position, une obligation de garantie quant à l’évolution du fonds de placement. Et le Tribunal fédéral de rappeler qu’il ne faut pas confondre l’activité de conseil et d’information aux clients investisseurs, régie dans le cas d’espèce par le droit suisse (la banque fournissant dans le contrat de mandat la prestation caractéristique), avec celle de gestion du fonds qui ne relève pas nécessairement du même droit. Notre Haute Cour a aussi pu préciser que les obligations contractuelles de la banque ne pouvaient être définies en fonction de la LPCC qui, selon les recourants, ne feraient que codifier des usages. D’abord, comme le note le Tribunal fédéral le message du Conseil fédéral ne prétend nullement codifier des usages ; ensuite, la LPCC est certes fortement imprégnée des règles du mandat en ce qui concerne les obligations liées à la gestion et à la direction du fonds de placement, mais on ne saurait toutefois confondre ces activités avec celles du conseil aux investisseurs, même si celle-ci est régie aussi par les règles du mandat.
Plus spécifiquement, les recourants reprochaient notamment à la banque d’avoir garanti de manière fallacieuse l’absence de dettes du fonds de placement, alors qu’elle lui avait octroyé un prêt important. En cachant ce fait aux recourants qui l’avaient précisément interpellé à ce sujet, la banque aurait non seulement indûment dissimulé un élément propre à influer leur décision d’investir, mais aussi violé son devoir de fidélité et créé un conflit d’intérêts en conseillant d’investir dans un fonds dont elle était elle-même créancière. Ce grief est écarté par le Tribunal fédéral qui considère que le fait que l’intermédiaire ait lui-même dans le fonds de placement des intérêts pouvant diverger de ceux des investisseurs est quasi inhérent au système ; cela étant, il s’agit d’une question de mesure ; or, dans le cas d’espèce les intérêts ne divergeaient pas au point que la banque aurait dû s’abstenir de proposer l’investissement à ses clients. Par ailleurs, la banque avait donné des renseignements assez vagues ne permettant pas de préjuger de l’ampleur des dettes. Notre Haute Cour considère que l’imprécision des informations données devait bénéficier à la banque ce d’autant que les recourants étaient des spécialistes de ce genre d’opérations, lesquels s’étaient de surcroît adjoints les services d’un conseil indépendant. Cette appréciation, qui peut d’abord sembler curieuse si l’on considère que le conseiller en placement est censé donner une information non seulement « exacte », mais aussi « compréhensible et complète », et « renseigner sur tous les points propres à influer la décision de son client », s’explique cependant notamment par des motifs de procédure. En effet, les recourants n’avaient pas allégué ni offert de prouver qu’ils auraient renoncé à acquérir des parts dans le fonds s’ils avaient été informés de l’existence du prêt, ou qu’ils auraient pu et dû acquérir des parts à un prix moindre compte tenu des risques que représentaient les dettes occultées. Dès lors, les prétentions que les recourants faisaient valoir (droit à la contre-valeur du prêt et des intérêts au prorata de leurs parts) n’avaient pas de rapport direct avec le dommage qu’aurait dû entraîner la violation contractuelle alléguée.
S’agissant, en second lieu, de l’éventuelle responsabilité de la banque pour la gestion du fonds de placement, le Tribunal fédéral constate d’abord qu’une action directe contre la banque à raison de la gestion du fonds, société sise aux Bahamas qui bénéficie d’une existence juridique propre, peut être envisagée à deux titres, à savoir en application de la théorie de l’organe de fait ou du principe de la transparence. Et de rappeler que le droit suisse des sociétés permet de rechercher en responsabilité non seulement les organes formels, mais aussi les organes de fait, soit toutes les personnes qui s’occupent de la gestion de la société en prenant en fait les décisions normalement réservées aux organes ou en pourvoyant à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d’une manière déterminante. Or, en l’espèce, la banque pouvait avoir assumé une fonction d’organe de fait au sein de sa filiale des Bahamas, voire dans le fonds lui-même. Quant à la théorie de la transparence, elle permet en droit suisse de ne pas s’en tenir sans réserve à l’existence formelle de deux personnes juridiquement distinctes lorsque l’une d’entre elles est une personne morale qui se révèle un simple instrument aux mains de l’autre ; si le fait d’invoquer la diversité des sujets constitue un abus de droit, l’on admet qu’il y a identité de personnes et que les rapports de droit qui obligent l’une lient également l’autre. En l’occurrence, une identité entre la banque et sa filiale des Bahamas, laquelle assumerait une responsabilité comme administrateur du fonds, voire une identité entre la banque et le fonds lui-même dont la banque détenait la totalité des actions à droit de vote, était envisageable. Cela étant, l’application de ces deux théories supposait que le droit suisse fût applicable à l’examen de ces questions. Or, dans le cas d’espèce, c’est le droit des Bahamas, droit du siège social du fonds, qui était déterminant pour dire qui était organe du fonds et à quelles conditions les organes pouvaient être recherchés en responsabilité. De même la lex societatis, à savoir le droit des Bahamas, régit-elle aussi la responsabilité découlant du principe de la transparence. Dès lors, la cause devait être renvoyée à l’autorité précédente pour qu’elle détermine, à la lumière du droit des Bahamas qui n’avait pas été établi au niveau cantonal, si la banque pouvait être recherchée en responsabilité pour la gestion du fonds, que ce soit comme organe de fait ou en application de la théorie de la transparence, pour autant que ce droit connaisse ces institutions.