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Restitution des indemnités de distribution au client

Retrocessions – Acte IV

La question de la restitution des rétrocessions aux clients vient de connaître un nouveau développement jurisprudentiel (arrêt du 30 octobre 2012 dans les causes n° 4A_127/2012 et 4A_141/2012, destiné à la publication), déjà abondamment commenté dans la presse.
Afin de mieux cerner les enjeux de ce nouvel arrêt, un bref retour en arrière s’impose. Dans un arrêt de principe de 2006 (ATF 132 III 460, cf. Actualité n° 446), le Tribunal fédéral a jugé que les rétrocessions qu’un tiers gérant reçoit de la banque dépositaire des fonds du client sont en principe soumises à une obligation de restitution découlant du droit du mandat (article 400 al. 1 CO). Moyennant un consentement éclairé du client, celui-ci peut toutefois renoncer à son droit à la restitution. La nature de l’information qui doit être fournie au client afin que sa renonciation au droit à la restitution soit valable a été précisée dans un arrêt ultérieur de 2011 (ATF 137 III 393, cf. Actualité n° 773).
Si les deux arrêts évoqués ci-dessus ont clarifié la situation dans le cadre de la relation triangulaire classique de la gestion de fortune privée (client / banque dépositaire / tiers gérant), ils n’abordaient pas directement le sort des rétrocessions (et paiements analogues) versés dans le domaine de la distribution de produits financiers. L’activité de distribution (et la fourniture de certains services annexes) est rémunérée par le versement de rétrocessions (et paiements analogues), représentant notamment (i) une fraction des commissions d’émission et de rachat du produit financier considéré, (ii) une fraction de la commission de gestion (Bestandespflegekommission) ou (iii) une réduction sur le prix d’émission en cas de prise ferme d’un produit structuré par le distributeur (placement fee). Dans un arrêt non publié du 13 janvier 2011 dans la cause n° 6B_223/2010 (cf. Actualité n° 741), la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral a retenu que le distributeur ne perçoit pas les rétrocessions « du chef » de sa relation avec le client final, mais plutôt à titre de contre-prestation pour des services de distribution fournis au promoteur. De telles rétrocessions ne seraient donc pas soumises au devoir de restitution de l’article 400 al. 1 CO. Moins de deux ans après cet arrêt, le Tribunal fédéral a opéré un revirement de jurisprudence dans l’arrêt de principe commenté ici.
Le Tribunal fédéral retient à présent que « les indemnités de distribution sont soumises à l’obligation de restitution, pour autant que le contrat conclu entre le distributeur (et récipiendaire des rétrocessions) et le client final soit un mandat (ou un contrat assimilable à un mandat) ».
Cet arrêt appelle de nombreuses remarques, dont certaines seront brièvement évoquées ci-dessous :

  • Le Tribunal fédéral rejette expressément l’argumentation de la banque selon laquelle les indemnités de distribution visent à rémunérer des services fournis en matière de distribution et doivent donc pouvoir être conservées librement par le distributeur. Le concept-clé est le conflit d’intérêts qui, aux yeux du Tribunal fédéral, serait inhérent à la perception d’indemnités de distribution, notamment lorsque des produits financiers sont placés dans les portefeuilles de clients gérés et que l’indemnité de distribution est calculée en fonction du montant investi par les clients du distributeur. L’existence d’un conflit d’intérêts potentiel suffit, indépendamment de la question de savoir si ce conflit a péjoré la situation d’un client dans un cas particulier.
  • L’arrêt du Tribunal fédéral sonne ainsi le glas de la distinction entre (i) les rétrocessions « intrinsèquement liées au mandat » (qui tomberaient sous le coup de l’obligation de restitution ancrée à l’article 400 al. 1 CO) et (ii) celles reçues seulement « dans le cadre de l’exécution du mandat » (non soumises à l’article 400 al. 1 du CO). Cette distinction, proposée par une partie de la doctrine suite à l’arrêt de 2006, avait été évoquée dans la Circulaire n° 22/06 du 5 décembre 2006 de la Swiss Funds Association et retranscrite au Chiffre 16 des Directives ASB sur le mandat de gestion de fortune.
  • L’arrêt cantonal (arrêt du Handelsgericht de Zurich du 13 janvier 2012) s’appuyait sur une vision consolidée du groupe de sociétés pour exclure du devoir de restitution les rétrocessions versées au distributeur par des entités affiliées. Cette distinction est rejetée par le Tribunal fédéral, qui retient que toutes les indemnités de distribution sont soumises au devoir de restitution, indépendamment de la question de savoir si le promoteur et le distributeur appartiennent au même groupe financier ou non.
  • Le Tribunal fédéral fait peu de cas de l’argument de la banque (récipiendaire des rétrocessions), selon lequel la restitution des rétrocessions (à certains de ses clients) serait contraire au principe de l’égalité de traitement entre investisseurs, qui prévaut en matière de gestion de fortune collective. Dans un considérant lapidaire (consid. 5.8.2), le Tribunal fédéral relève qu’il appartient à la banque de structurer ses activités commerciales de sorte à satisfaire à la fois ses obligations prudentielles et celles qui découlent du droit civil.
  • Maintenant que le champ d’application de l’article 400 al. 1 CO en matière de rétrocessions a été fixé par la jurisprudence, le débat (judiciaire) se déplacera vraisemblablement sur le terrain de la validité de la clause de renonciation à la restitution des rétrocessions, que de nombreux intermédiaires financiers ont introduite dans leur documentation contractuelle (ou ont adaptée) suite au leading case de 2006. L’arrêt présenté ici ne remet pas en cause la possibilité, pour le client, de renoncer contractuellement à la restitution des rétrocessions. L’élément-clé est toutefois l’information du client. Les exigences minimales découlent de l’arrêt de 2011 (ATF 137 III 393, cf. Actualité n° 773). En résumé, le client doit être informé (i) des paramètres essentiels de l’accord sur la base duquel les rétrocessions sont calculées et payées et (ii) du montant prévisible de celles-ci.
  • Finalement, dans le domaine des rétrocessions, des obligations (auto-)réglementaires (cf. notamment Circulaire FINMA 2009/1, chiffres 27-31) viennent se superposer aux règles de droit civil. La question des rétrocessions est l’un des principaux points d’achoppement qui retardent l’adoption de la Directive MiFID 2. La solution retenue au niveau européen sera sans doute déterminante dans la perspective de la future loi suisse sur les services financiers. L’on relèvera finalement que le nouvel article 20 al. 1 lit. c LPCC (introduit dans le cadre de la révision de septembre 2012) prévoit que le distributeur (réglementé par la LPCC) doit porter à la connaissance de sa clientèle les rétrocessions et paiements de commissions analogues qu’il reçoit du promoteur du produit. Cette disposition réglementaire ne prévoit toutefois pas une obligation de restitution, ni a fortiori une interdiction des rétrocessions.