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Statut "d'US person", convention de banque restante, vente de titres

Responsabilité contractuelle de la banque


Dans un arrêt rendu le 31 mars 2014 (4A_548/2013, 4A_550/2013), le Tribunal fédéral examine la question de la responsabilité contractuelle d’une banque suite à la vente non autorisée de titres US appartenant à l’un de ses clients présentant des indices de « US Person ».

L’état de fait peut être résumé comme suit :

Une fondation de droit liechtensteinois a une relation de compte courant et de dépôt, ainsi qu’un dossier titres auprès d’une banque (la banque). Le bénéficiaire de la fondation est une personne physique (Y). Au moment des faits pertinents, la banque n’a pas de mandat de gestion sur les comptes de la fondation, à l’inverse d’Y, qui dispose alors d’une procuration de gestion. La fondation opte pour une correspondance transmise « banque restante ». Entre 1999 et 2002, la fondation investit dans des titres de sociétés américaines cotées en bourse.

En novembre 1999, les autorités fiscales américaines (IRS) publient une réglementation sur l’imposition à la source des revenus américains, applicable au plus tard le 1er janvier 2003. En vertu de cette réglementation, les banques étrangères, proposant des titres américains à leurs clients, doivent dorénavant (i.) revêtir le statut d’intermédiaire agréé (Qualified Intermediary) et (ii.) identifier les clients « US Persons ». La circulaire n°6971 du 7 avril 2000 de l’Association Suisse des Banquiers précise les obligations d’identification des banques. Elle prévoit notamment que, pour les comptes insuffisamment documentés, la banque doit prélever un impôt à la source de 30 % sur les dividendes et les intérêts des titres US ; pour les comptes identifiés comme « US Persons », la banque doit demander au client l’autorisation de communiquer ses coordonnées au fisc américain. En cas de refus, elle doit vendre les titres américains du client concerné avant le 31 décembre 2002.

En raison de doutes quant au statut de « Non-US Person » d’Y, la banque envoie un courrier à l’adresse de la fondation à Vaduz fin novembre 2002. Dans ce courrier, elle invite la fondation à lui fournir des clarifications et l’avertit qu’en l’absence des documents requis elle devra vendre les titres américains avant la fin de l’année 2002. N’ayant obtenu aucune réponse suite à son courrier et n’ayant pas réussi à joindre Y, la banque vend les titres américains de la fondation fin décembre 2002 et verse le produit de la vente sur le compte de cette dernière. Les avis de vente sont notifiés « banque restante ».

Informé par la banque fin juillet 2003 de la vente des titres US, Y – qui a entretemps répondu par la négative à toutes les questions susceptibles de fonder un statut de « US Person » – lui fait part de son incompréhension. Il lui reproche, notamment par écrit, d’avoir vendu les titres à un moment particulièrement défavorable et d’avoir porté atteinte aux intérêts de la fondation. A l’initiative de la banque, les rapports contractuels sont résiliés fin février 2005.

Le 13 juillet 2009, Y et la fondation actionnent la banque en justice et lui réclament le montant de USD 1’497’163.-, correspondant à la différence entre la valeur des titres au 28 février 2005, soit à la fin des rapports contractuels, et le produit de la vente non autorisée en décembre 2002.

Par jugement du 13 décembre 2012, la banque est condamnée à payer à la fondation un montant de USD 270’530.-, correspondant à la différence de valeur des titres entre la date de la vente forcée (décembre 2002) et celle à laquelle la cliente a eu connaissance de l’opération préjudiciable (fin juillet 2003). Cette décision est confirmée par arrêt de la Cour de justice du 27 septembre 2013. Saisi d’un recours en matière civile, le Tribunal fédéral confirme l’arrêt de la Cour en se fondant sur l’argumentation suivante :

Le Tribunal fédéral réfute d’abord le grief selon lequel la fondation n’aurait pas contesté en temps utile l’opération litigieuse. Il rappelle que la clause « banque restante » et la fiction de réception qu’elle comporte connaît une limite lorsque son application consacre un abus de droit. Tel est le cas lorsque la banque notifie une communication extraordinaire, comme un avis relatif à une vente forcée, avec laquelle le client ne doit pas compter. Une telle communication n’est réputée reçue que lorsqu’elle est notifiée directement au client. La fondation n’a de ce fait pas tardé à réagir, car elle a contesté l’opération dès qu’elle en a eu connaissance.

Notre Haute Cour relève ensuite que la banque a violé ses obligations de diligence et de fidélité au sens des art. 398 al. 2 CO et 11 al. 1 LBVM en vendant, sous la prétendue pression d’une réglementation étrangère, les titres US de la fondation, sans considération du cours des titres et sans instruction ni mandat de gestion pour le faire.

Enfin le Tribunal fédéral rejette le grief selon lequel le dommage aurait dû être fixé à la fin du rapport contractuel et non pas au moment où la lésée a eu connaissance de son dommage. Selon notre Haute Cour, la date de résiliation du contrat ne revêt pas la même signification lorsque le client est lié à la banque par un mandat de gestion ou par une relation de type « execution only ». En l’absence de mandat de gestion, la banque n’a pas le pouvoir d’effectuer des investissements, ni de minimiser un éventuel dommage, alors que le client conserve le pouvoir de gérer son patrimoine. Il a de ce fait l’obligation de réduire son dommage dès qu’il en a connaissance et est en mesure d’y remédier.

Cet arrêt souligne le fait que, même sous la pression de réglementations étrangères, les banques suisses ne sont pas dispensées de respecter leurs obligations contractuelles à l’égard de leurs clients. En particulier, en cas d’opération extraordinaire, telle qu’une vente forcée de titres, les banques ne peuvent pas se prévaloir de la clause « banque restante », ni des fictions de réception et de ratification qui y sont liées. Les communications et avis relatifs à de telles opérations doivent être notifiés directement au client. A défaut, les banques risquent d’être actionnées en responsabilité faute de consentement du client.