Aides d’Etat et renflouement interne des banques
Confirmation des règles européennes concernant la répartition des charges entre actionnaires et détenteurs de titres subordonnés
Pranvera Këllezi
La Cour de justice de l’UE a confirmé la validité des règles sur la répartition des charges figurant dans la Communication de la Commission en matière d’aides d’Etat accordées aux banques dans le contexte de la crise financière, notamment des règles sur la répartition des charges entre actionnaires et créanciers subordonnés des banques en déficit de fonds propres (arrêt du 19 juin 2016, C-526/14). L’arrêt de la Cour contribue à la validation de l’édifice du renflouement interne (dispositions de bail-in) en cas de soutien public (bail-out par des fonds publics).
La Cour de justice statue sur demande préjudicielle de la Cour constitutionnelle de Slovénie, saisie par des détenteurs de titres subordonnés. Au moment de leur émission, les titres ne pouvaient être entièrement ou partiellement liquidés sans remboursement qu’en cas de faillite. Or, une loi slovène qui reprend les critères de la Communication sur la répartition des charges entre actionnaires et créanciers subordonnés, prévoit que les banques qui ne respectent pas le minimum réglementaire des fonds propres ne peuvent obtenir un renflouement au moyen de fonds publics, seulement après que les actionnaires et les créanciers subordonnés ont été appelés à contribution pour absorber les pertes ; les détenteurs de titres subordonnés seraient alors lésés car leurs titres doivent être convertis en capital ou faire l’objet d’une réduction de valeur avant toute injection de fonds publics, ceci même en dehors d’une situation de faillite de la banque (ce que l’aide d’Etat entend justement éviter). Les détenteurs font valoir que cette exigence empièterait sur leurs droits de propriété et ferait échec au principe de la sécurité du droit, questions épineuses en matière de renflouement interne des banques (bail-in provisions).
L’injection de fonds publics dans des banques est considérée comme une aide d’Etat, sujette à une autorisation préalable de la Commission européenne. Les aides d’Etat octroyées aux banques en difficultés ont pour but de réduire l’effet de contagion et le risque systémique qu’engendrent les faillites des banques, afin d’assurer la stabilité financière. Elles sont soumises à des conditions strictes afin de réduire au maximum l’effet pervers des subventions publiques sur la prise de risque des agents économiques (le « moral hazard »).
La Communication susmentionnée expose les critères et les conditions qu’appliquera la Commission lors de l’examen des notifications d’aides envisagées par les Etats membres. La Cour de justice rappelle que les critères de la Communication ne sont pas contraignants pour les Etats membres de l’UE, car elle ne lie que la Commission elle-même. Autrement dit, les règles de répartition de charges sont suffisantes, mais pas nécessaires. En particulier lorsque la conversion, la réduction, voire la radiation de la dette subordonnée détenue par des petits épargnants ou entreprises risque de mettre en péril la stabilité financière du pays, le fardeau du redressement des banques ne sera pas mis sur les petits épargnants. Même si les Etats membres peuvent négocier d’autres solutions, ils ont tout intérêt à respecter les critères de la Communication aux fins d’obtenir le feu vert de la Commission.
L’intérêt de l’arrêt de la Cour de justice réside dans l’accent mis sur le principe de la proportionnalité : la Cour de justice considère que lorsque l’Etat membre décide de recourir à la conversion ou la réduction de valeur des titres subordonnés avant l’octroi d’une aide d’Etat, cette conversion ou réduction n’est légitime qu’à concurrence de ce qui est suffisant pour remédier au déficit de fonds propres de la banque concernée. L’Etat membre ne peut donc pas justifier la conversion ou réduction de la valeur de ces titres en faisant référence aux règles européennes sur les aides d’Etat.
Les considérations sur le test à appliquer pour savoir si les investisseurs sont lésés lors des mesures de renflouement interne ont un impact plus considérable dans la mise en œuvre de la réglementation nationale. Les créanciers ou investisseurs ne doivent pas recevoir moins, en termes économiques, que ce qu’ils auraient obtenu en l’absence d’injections de fonds publics (« no-creditor worse off principle »). Ce principe est ancré dans la Communication de la Commission. Dans le cas concret, la Cour de justice applique ce principe en faisant référence à une situation de faillite d’une banque en l’absence d’une aide d’Etat. En cas de faillite les détenteurs de créances subordonnées peuvent en effet perdre l’intégralité de leurs créances. En conséquence, la conversion ou réduction de valeur conditionnant l’injection de fonds publics ne leur cause en principe aucun dommage. Or, en vertu de la Communication, les règles de répartition des charges seraient applicables déjà en amont, lorsqu’un Etat membre envisage d’injecter des fonds publics dans une banque qui souffre d’un déficit de fonds propres, mais qui respecte les exigences réglementaires minimales. Le point de référence du test d’équivalence économique dans ce cas ne peut être la faillite d’une banque, car la perte de valeur économique des titres subordonnés convertis en capital est due à la situation économique de l’institution. La Cour n’apporte pas de réponse à cette question, à vrai dire très technique et qui implique un examen au cas par cas de l’interdépendance entre les règles européennes et nationales en matière de fonds propres et de faillite bancaire.
Les mêmes principes de répartition des charges et de renflouement interne, y compris le principe de proportionnalité, sont exprimés dans la directive 2014/59 qui établit le cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit (DRRB). Celle-ci s’applique en cas de défaillance avérée ou prévisible d’une banque (« failing or likely to fail »), indépendamment de l’utilisation de fonds publics (bail-out). Pour les pays non membre de l’UE, et notamment la Suisse, les règles de renflouement interne sont pertinentes car les investisseurs et les détenteurs de titres subordonnés de banques européennes seront appelés à contribuer au renflouement des banques européennes ou des succursales de banques européennes établies ou situées hors de l’UE. Par ailleurs, les banques européennes ont l’obligation d’adapter les contrats d’instruments éligibles aux règles de bail-in. Ces règles ne pourront donc pas être contournées au moyen de dispositions contractuelles.