Aller au contenu principal

Financement de projets

Risque de requalification d’une relation de crédit en société simple

Dans un arrêt 4A_251/2016 du 13 décembre 2016, le Tribunal fédéral a eu à déterminer si une relation de crédit était susceptible de constituer une société simple au sens de l’art. 530 al. 1 CO. Cette question était en l’occurrence pertinente pour trancher un éventuel droit de l’emprunteur concerné d’obtenir sur la base de l’art. 541 al. 1 CO des documents en possession de la banque suite au refus de celle-ci d’accorder les crédits demandés. La qualification de société simple a toutefois été rejetée par notre Haute cour.

Dans cette affaire, une banque et une société active dans l’immobilier avaient conclu un contrat-cadre de crédit hypothécaire à teneur duquel la banque mettait à disposition un montant maximal de CHF 111 millions en relation avec l’acquisition d’un parc immobilier. La particularité de l’espèce résidait dans le fait que les immeubles acquis devaient à terme être transférés à une SICAV à gestion externe constituée à cet effet. L’emprunteur aurait été l’unique actionnaire entrepreneur (art. 41 LPCC) ; la banque aurait agi comme société de direction (art. 28 LPCC ; art. 51 al. 2 OPCC) et banque dépositaire (art. 44a LPCC), quand bien même ces deux fonctions ne sont pas cumulables selon l’art. 28 al. 5 LPCC (ce que les parties semblaient ignorer). La banque aurait mis en outre à disposition de l’emprunteur les connaissances de ses collaborateurs en matière de placements collectifs.

Dans ce contexte, la banque et l’emprunteur avaient chacun identifié un investisseur intéressé à souscrire des actions des investisseurs (art. 36 al. 1 let. b LPCC). La banque disposait en particulier d’un client allemand désireux d’investir dans le projet.

Selon le contrat-cadre, l’emprunteur n’avait cependant pas un droit à obtenir les crédits sollicités, la facilité de crédit étant non engagée (uncommitted facility). L’octroi des crédits était par ailleurs soumis à plusieurs conditions suspensives, notamment au transfert par l’investisseur allemand de valeurs patrimoniales sur un compte ouvert auprès de la banque et leur nantissement (croisé) en garantie des créances de la banque.

Suite à une demande de tirage en vue du paiement du prix de vente des immeubles, la banque a cependant refusé de s’exécuter en arguant du fait que l’investisseur allemand n’avait pas transféré les valeurs patrimoniales exigées. Elle déclarait en outre résilier le contrat-cadre avec effet immédiat, comme le permet généralement ce type de convention.

L’emprunteur a alors demandé à la banque de lui remettre divers documents relatifs à cette affaire, notamment une copie de l’acte de nantissement signé par l’investisseur allemand. La banque s’y est refusée. L’emprunteur a alors saisi le Tribunal de première instance de Genève d’une demande en reddition de compte.

Le droit au renseignement de l’emprunteur pouvait potentiellement découler de trois sources différentes, à savoir le droit d’accès (art. 8 LPD), le droit à la reddition de comptes (art. 400 al. 1 CO) et le droit d’un associé d’être renseigné sur les affaires de la société (art. 541 al. 1 CO). Si le Tribunal de première instance a exclu l’application de toutes ces dispositions, la Cour de justice a retenu que la banque et l’emprunteur avaient constitué une société simple par actes concluants et condamné la banque à remettre certains documents demandés sur la base de l’article 541 al. 1 CO, y compris ceux relatifs à l’investisseur allemand nonobstant le secret bancaire (art. 47 LB). Saisi d’un recours en matière civile de la banque, le Tribunal fédéral a annulé l’arrêt cantonal et renvoyé l’affaire à la Cour de justice pour trancher la question du droit à l’information à la lumière de l’art. 400 CO.

En substance, le Tribunal fédéral a rappelé que le fait d’«  avoir un objectif commun et la volonté d’unir des efforts ou ressources pour l’atteindre ne suffit pas à constituer un contrat de société simple. Encore faut-il que les associés s’obligent réciproquement à favoriser ce but commun et décident de partager la substance même de l’entreprise ». En l’espèce, si le rôle de la banque excédait celui d’une bailleuse de fonds, celle-ci assumait les risques de tout prêteur et ne retirait que les profits usuels. Le fait que la banque puisse percevoir à terme des revenus supplémentaires comme société de direction ou banque dépositaire de la SICAV ne permettait pas encore de retenir que les parties partageaient la substance même de l’entreprise. On relèvera cependant que le cas d’espèce aurait pu prendre une autre tournure s’il avait été projeté que la banque devienne coactionnaire entrepreneur de la SICAV.

Cet arrêt rappelle le risque de requalification d’une relation de crédit en société simple, lequel peut avoir d’autres conséquences indésirables pour le prêteur. En effet, un prêteur qui serait considéré comme un associé participerait ex lege aux pertes (art. 533 al. 1 CO) et serait solidairement responsable des engagements de la société vis-à-vis des tiers (art. 544 al. 3 CO). En outre, une telle requalification pourrait potentiellement soulever des difficultés sous l’angle réglementaire si le projet auquel un prêteur bancaire devait être « associé » se situait en dehors de de son périmètre d’ activités (cf. notamment art. 3 al. 2 let. a LB et art. 9 OB).

Ainsi, lorsque le rôle d’un prêteur excède celui d’un simple bailleur de fonds (ce qui ne doit pas encore être le cas lorsque le prêteur se voit conférer certains mécanismes de contrôle), celui-ci aura tout intérêt à clarifier contractuellement son rôle dans le projet financé, étant précisé qu’une simple exclusion conventionnelle des règles régissant la société simple ne lierait pas encore les tribunaux (cf. ATF 134 III 497, c. 4.4.2).

Il reste enfin à savoir si, à l’issue de cette affaire, la banque pourra être tenue de remettre les documents exigés par l’emprunteur sur la base de l’art. 400 al. 1 CO. Si cette disposition est a priori applicable (cf. ATF 101 II 117 c. 5), elle ne devrait cependant en principe pas permettre à l’emprunteur d’exiger des informations sans lien direct avec ses comptes.