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Assistance fiscale

Le recours contre une sanction dans le cadre de l’entraide fiscale est-il effectif ?

Par une décision prise en Grande Chambre en date du 16 mai 2017 (n° C-682/15), la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) répond aux questions préjudicielles posées par les juges luxembourgeois relatives aux conditions du droit au recours qui peut être exercé dans le cadre d’une entraide fiscale.

En 2014, l’administration fiscale française (administration requérante) a demandé à l’administration fiscale luxembourgeoise (administration requise) des informations concernant la société Berlioz (Berlioz) au titre d’une exonération fiscale. En 2015, l’administration requise a demandé à Berlioz des informations pour pouvoir accéder à la demande de la France. La société a répondu à la demande en ne fournissant que certains documents. Pour avoir refusé de fournir l’ensemble des informations, Berlioz s’est vu infliger une amende de 250 000€. Saisi du litige relatif à cette sanction, les juges luxembourgeois ont sursis à statuer afin de demander des précisions sur le recours contre la sanction pécuniaire infligée par l’administration requise (pt 21 à 30).

La CJUE règle le litige sur la base de deux règlementations : la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (la Charte) et la directive n° 2011/16/UE du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (la Directive) (pt 1 à 11). Selon la Cour, l’article 47 de la Charte relatif au « droit au recours et à accéder à un tribunal impartial » est applicable au litige et invocable contre la sanction pécuniaire (pt 32 à 42, 52). Le droit au recours permet de contester la légalité de la décision de sanction (pt 59).

Il convient alors de savoir sur quoi porte cette légalité. La CJUE précise que la condition de légalité se trouve dans la notion de « pertinence vraisemblable des informations demandées par un Etat membre » (pt 60). En effet, un Etat ne peut pas demander « des recherches tous azimuts » et aller « à la pêche aux renseignements » (pt 66- 67). En conséquence, « la pertinence vraisemblable des informations demandées constitue une condition à laquelle la demande d’informations doit satisfaire pour déclencher l’obligation de l’État membre requis d’y donner suite et, par là même, une condition de légalité de la décision d’injonction adressée par cet État membre à un administré et de la mesure de sanction infligée à ce dernier pour non-respect de cette décision » (pt 74).

Lorsqu’un juge est saisi d’un recours contre une telle décision de sanction, le contrôle du juge « peut non seulement porter sur la proportionnalité de cette sanction et conduire, le cas échéant, à une réformation de celle-ci, mais également concerner la légalité de la décision » (pt 83-84). Toutefois, la CJUE limite très fortement le contrôle du juge qui « doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie » (pt 86). Le juge exerce donc son contrôle dans la limite de « la vérification de l’absence manifeste » de pertinence vraisemblable (pt 89).

La CJUE, après avoir précisé l’étendue du contrôle du juge, en précise son contenu. Le juge doit avoir accès au document de demande fiscale produit par l’administration requérante et peut solliciter de l’autorité requise des informations complémentaires pour exclure l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des informations demandées (pt 92). En revanche, l’administré ne peut avoir accès au document de demande d’informations du fait de son caractère secret (pt 93 à 95). Pour ainsi prouver que les informations demandées à son encontre seraient dépourvues de pertinence vraisemblable, il ne peut avoir accès qu’à l’identité du contribuable et de la finalité fiscale des informations demandées (pt 100). Mais si le juge considère que l’information minimale ne suffit pas et sollicite de l’autorité requise d’informations complémentaires, le juge a l’obligation de fournir ces informations complémentaires à l’administré (pt 100). Notons que si la procédure impliquait la Suisse, en vertu de l’article 15 de la loi sur l’assistance administrative matière fiscale, les personnes habilitées à recourir pourraient consulter les pièces du dossier, sauf si l’autorité étrangère décidait d’émettre des motifs vraisemblables de garder le secret sur certaines pièces. En ce cas, l’Administration fédérale des contributions peut refuser à une personne habilitée à recourir la consultation des pièces concernées.

La marche à suivre indiquée par la CJUE est détaillée et complète. Si l’on peut saluer l’existence d’un droit au recours pour l’administré, notons que ce droit ne s’exerce pas sur la décision de transmettre des informations à l’administration requérante, mais s’exerce sur une sanction infligée à l’administré réticent. Par ailleurs, alors même qu’il peut recourir contre la sanction, ses moyens de défense sont faibles car il n’a accès qu’à une partie infime du dossier sur laquelle il doit pourtant se prononcer pour considérer que les informations demandées seraient dépourvues de toute pertinence vraisemblable. A cela s’ajoute le fait que le juge saisi ne peut contrôler que l’erreur manifeste relative à cette pertinence vraisemblable sans pouvoir exercer un contrôle approfondi. Si ceci peut s’expliquer du fait que l’on doit faire primer l’effet utile de la Directive en matière d’assistance fiscale, force est de reconnaître que le recours existe mais son effectivité laisse perplexe. La symbolique défendue par la CJUE ne doit pas cacher les maigres chances de chaque administré de voir son recours aboutir, l’important se situant moins dans la légalité de la décision de sanction que dans la possibilité de la réformer.