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Responsabilité de l'Etat

Action de deux anciens banquiers rejetée

L’art. 23quarter aLB, qui permet à l’autorité de surveillance de désigner un observateur auprès de la banque, constitue une norme protectrice de nature à fonder une illicéité de comportement. Cette disposition protège non seulement les créanciers de la banque, mais aussi la banque elle-même, lorsque des actions de l’autorité ou de son auxiliaire, et non des omissions, sont remises en cause. Les actionnaires de la banque ne peuvent en revanche pas se prévaloir de cette norme protectrice lorsque leur patrimoine est touché de façon indirecte. Un cas médiatisé a donné lieu à ce pas en avant.

En 2003, le Ministère public de la Confédération (MPC) met en examen, puis fait arrêter le directeur d’une banque privée zurichoise. Il le soupçonne de blanchir des fonds en provenance de cartels colombiens. La Commission fédérale des banques (CFB) nomme aussitôt un agent observateur pour surveiller la banque (« Beobachter » selon l’art. 23quarter aLB). Celle-ci, déjà en proie à des difficultés financières, est finalement vendue. En 2011, le Tribunal pénal fédéral (TPF) acquitte le directeur. Ce dernier, par ailleurs actionnaire majoritaire de l’établissement, et son associé réclament des dommages à hauteur de CHF 16.17 mios et 1.1 mio au Département fédéral des finances (DFF). Ils estiment en substance que les actes du MPC ont conduit à la vente précipitée de la banque, pour un prix inférieur à sa valeur réelle. Le DFF se déclare incompétent s’agissant du directeur et rejette la demande de l’autre actionnaire. Le TAF confirme cette décision dans un arrêt du 3 juillet 2018 (A-3150/2016).

Selon le TAF, en tant qu’ancien prévenu, le directeur aurait dû agir en responsabilité par la voie spéciale de la procédure pénale (art. 429 ss CPP). Celle-ci prime en effet la Loi sur la responsabilité (art. 3 al. 2 LRCF). Le Tribunal transmet en conséquence la demande au TPF.

Le TAF examine ensuite les prétentions de l’autre actionnaire, à l’aune de la LRCF. En l’espèce, le second recourant n’invoque pas la violation d’un droit absolu, qui aurait conduit à une illicéité de résultat (« Erfolgsunrecht« ). Il fait valoir un dommage purement patrimonial, à savoir la vente de ses actions à un prix amoindri. Il y a donc illicéité (de comportement ; « Verhaltensunrecht« ) seulement si le dommage découle de la violation d’une norme de comportement qui vise à protéger le patrimoine (« Schutznorm« ). A ce titre, l’actionnaire minoritaire se prévaut tout d’abord des règles de la procédure pénale qui imposent l’existence de soupçons suffisants pour ouvrir une procédure d’investigation ou pour ordonner une surveillance secrète (art. 101 aLoi sur la procédure pénale et 3 al. 1 let. a aLSCPT). Selon le TAF, cette exigence a pour but de protéger les droits fondamentaux du prévenu, mais non les tiers ou leur patrimoine. Or, ce recourant n’a pas été impliqué en tant que prévenu dans la procédure pénale et ne peut ainsi pas invoquer ces dispositions comme normes protectrices.

L’associé du directeur se prévaut ensuite de l’art. 23quarter aLB, sur la base duquel la CFB a nommé un agent observateur. Le TAF rappelle que, si la LB octroie à la fois une protection individuelle et collective, elle ne protège pas la banque contre les actes dommageables de ses propres organes (à ce sujet, cf. arrêt A-7111/2010 du 11 avril 2012 où le TAF rejette l’action en responsabilité du canton de Genève pour défaut de surveillance de sa banque cantonale). En l’espèce, le recourant ne reproche pas une omission à la CFB (« Unterlassung« ), mais un comportement actif (« positives Tun« ). Le TAF confirme qu’une action en responsabilité de la banque est envisageable dans cette hypothèse (cf. ATF 106 Ib 357 et arrêt du TAF A-7111/2010 du 11 avril 2012). Il ajoute que l’art. 23quarter aLB effectue une pesée entre les intérêts publics de police et les intérêts privés au libre exercice d’une activité économique. Cette disposition constitue de ce fait une norme protectrice et peut légitimer une banque à agir en responsabilité contre l’État pour les agissements de l’autorité de surveillance. Le TAF ne tranche en revanche pas la question de savoir si les actionnaires (ordinaires) d’une banque peuvent aussi s’en prévaloir.

En l’espèce, la position particulière qu’occupaient les actionnaires recourants au sein de la banque, en tant que membres du conseil d’administration, leur conférait une influence sur les décisions des organes et la marche des affaires. Contrairement à des actionnaires ordinaires, ils étaient en mesure de préserver eux-mêmes leurs intérêts financiers. La LB les protège ainsi par ricochet seulement (« Reflexwirkung« ), et non de façon directe, de sorte qu’ils ne peuvent pas s’en prévaloir pour fonder l’illicéité des actes de la CFB. Pour les mêmes raisons, l’art. 23quarter aLB ne permet pas aux recourants de demander la réparation des dommages que leur aurait causés l’agent observateur dans l’exercice de ses tâches.

Aujourd’hui, c’est l’art. 36 LFINMA qui permet à l’autorité de surveillance de nommer un chargé d’enquête (« Untersuchungsbeauftragter« , « UB« ). Selon le Message, le droit en vigueur reprend le contenu de l’art. 23quarter aLB (FF 2006 p. 2796). L’art. 36 LFINMA constitue a priori lui aussi une norme protectrice. Une banque et ses créanciers peuvent ainsi s’en prévaloir pour agir contre l’État à la suite d’un comportement actif de l’autorité. L’action doit désormais être dirigée directement contre l’autorité de surveillance. La FINMA, en tant qu’établissement doté de la personnalité juridique, répond en priorité de ses actes, non la Confédération (art. 4 LFINMA et 19 LRCF). Cela étant, les demandeurs doivent garder du souffle pour surmonter les obstacles que pose l’art. 19 LFINMA. Celui-ci a en effet renforcé les conditions de responsabilité et dispose que l’autorité doit avoir « violé des devoirs essentiels de fonction et l’assujetti [ne doit pas avoir] causé les dommages en violant ses obligations ». La route est encore longue.