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Extinction de l’obligation de communication au MROS

Le Tribunal fédéral désavoue le Tribunal pénal fédéral

Dans un arrêt de principe du 7 août 2018, le Tribunal fédéral annule le jugement du Tribunal pénal fédéral classant une procédure ouverte contre la Banque cantonale de Fribourg (BCF) pour violation par négligence du devoir de communiquer un soupçon de blanchiment d’argent au MROS (art. 9 cum art. 37 al. 2 LBA) (arrêt 6B_1453/2017 du 7 août 2018). La décision de classement reposait sur le constat, par les juges de Bellinzone, de l’acquisition de la prescription pénale de sept ans applicable à l’art. 37 al. 2 LBA (jugement du 23 novembre 2017, SK.2017.38, cf. pour un résumé et commentaire critique Katia Villard, cdbf.ch/990).

Le Tribunal fédéral a retenu les faits suivants. Le 4 juin 2010, suite à un virement suspect de 190’000 euros effectué le 1er juin 2010 sur un compte ouvert au nom de la société A. SA dans les livres de la BCF, l’administrateur unique de la société dépose plainte pénale. Le 14 juin 2010, l’Office des juges d’instruction du canton de Fribourg ouvre une procédure pour blanchiment d’argent et escroquerie à l’encontre de diverses personnes impliquées dans la transaction litigieuse.

En février 2017, le Département fédéral des finances (DFF) introduit une procédure de droit pénal administratif et condamne la Banque le 19 juin 2017 pour violation du devoir de communication, commise du 4 au 29 juin 2010 (art. 37 al. 2 LBA cum art. 49 LFINMA).

Saisi par la BCF conformément à l’art. 72 DPA, le Tribunal pénal fédéral parvient à la conclusion que le délai de prescription a commencé à courir le 14 juin 2010, date de prise de connaissance de la plainte par les autorités compétentes et de l’ouverture simultanée de la procédure pénale portant sur la transaction de 190’000 euros qui aurait dû faire l’objet, par la BCF, d’une communication au MROS. Le Tribunal pénal fédéral estime en effet que c’est à partir de ce moment-là que les autorités disposaient d’éléments suffisants pour exécuter des mesures tendant à la découverte et au séquestre des valeurs patrimoniales litigieuses, ce qui met fin à l’obligation de communiquer de l’intermédiaire financier. Selon le Tribunal pénal fédéral, le fait que la saisine des autorités pénales soit intervenue par le biais d’un tiers et à l’insu de l’intermédiaire financier n’y change rien. La prescription a donc été acquise le 14 juin 2017, soit cinq jours avant le prononcé pénal du DFF emportant son interruption.

L’affaire monte au Tribunal fédéral qui doit ainsi déterminer si l’obligation de communication de l’intermédiaire financier prend en tous les cas fin avec la saisine des autorités de poursuite.

A cet effet, notre Haute Cour rappelle l’art. 3 de l’ordonnance sur le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (OBCBA), qui détaille les indications que les annonces au sens de l’art. 9 LBA doivent, au minimum, contenir. Or, en l’espèce, nombre de ces renseignements ne figuraient pas dans la plainte du 4 juin 2010. Pour cette raison d’ailleurs, le juge d’instruction, en date du 24 juin 2010, avait demandé à la BCF de lui fournir les informations manquantes.

Le Tribunal fédéral relève ensuite que l’ouverture de l’enquête le 14 juin 2010 n’a pas été accompagnée d’un séquestre des valeurs litigieuses, de sorte qu’à cette date les avoirs pouvaient encore échapper aux autorités de poursuite. En conséquence, la possibilité de découvrir et de confisquer ces valeurs n’avait pas disparu et l’obligation de communiquer de la BCF n’a donc pas pris fin du seul fait de l’introduction de la procédure pénale. C’est donc à tort que le Tribunal pénal fédéral a fait coïncider le point de départ du délai de prescription de l’infraction à l’obligation de communiquer avec l’ouverture de l’enquête.

En conséquence, le Tribunal fédéral renvoie la cause à l’autorité précédente afin qu’elle examine – ce qui ne ressort pas du jugement attaqué – si une obligation de communiquer de la BCF existait effectivement depuis le début du mois de juin 2010 et, cas échéant, à quelle date la prescription de l’action pénale aurait pu commencer à courir.

Le raisonnement du Tribunal fédéral emporte la conviction. Tant que les avoirs litigieux ne sont pas bloqués, ils peuvent être soustraits à la mainmise de la justice pénale. Or, l’ouverture d’une instruction ne signifie pas encore eo ipso que les conditions pour le prononcé d’un séquestre pénal sont remplies (cf. en droit actuel, l’art. 197 CPP). Celles-ci pourraient notamment faire défaut si l’introduction de la procédure se fonde sur une plainte pénale au contenu sommaire. En revanche, la communication de l’intermédiaire financier au MROS conformément aux art. 9 LBA et 3 OBCBA peut aboutir très rapidement, sur la base de l’art. 10 LBA, au blocage provisoire des avoirs. La déclaration d’opérations suspectes est une obligation propre à l’intermédiaire financier, indépendante d’une éventuelle procédure pénale dont celui-ci, suivant les circonstances, ignorera d’ailleurs l’existence. Les autorités de poursuite sont certes tenues, lorsque des soupçons de blanchiment d’argent sont portés à leur connaissance, de réagir avec la célérité qui s’impose pour éviter que les valeurs ne s’évanouissent dans la nature. Ce devoir des autorités ne décharge toutefois pas automatiquement l’intermédiaire financier des obligations que la lutte anti-blanchiment lui impose.