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Blanchiment d'argent

Enquêtes internes et secret de l’avocat : saison II, épisode 3

En septembre 2016, le Tribunal fédéral (TF) jugeait que le secret de l’avocat ne couvrait pas les résultats d’une enquête interne menée par une étude d’avocats sur mandat d’une banque en lien avec d’éventuelles violations de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA) (arrêt 1B_85/2016 du 20 septembre 2016, commenté in Alexandre Richa, cdbf.ch/992).

Deux ans plus tard, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF), statuant suite à un arrêt de renvoi du TF du 21 mars 2018, se rallie – elle y était bien obligée – en bloc – elle y était peut-être moins – à la jurisprudence (non publiée) de notre Haute Cour (décision du 13 septembre 2018, BE.2018.3).

Le Département fédéral des finances (DFF) dirige depuis juin 2016 une procédure de droit pénal administratif à l’encontre de personnes dirigeantes de la Banque cantonale de Bâle (BKB) pour violation de l’obligation de communiquer un soupçon de blanchiment d’argent au MROS (art. 9 et 37 LBA).

De son côté, la FINMA avait rendu, en 2013 déjà, une ordonnance constatant que la banque avait gravement violé ses obligations découlant du droit bancaire, dans le cadre de la même relation d’affaires que celle actuellement sous enquête du DFF. Cette décision se basait essentiellement sur le rapport d’enquête interne d’une étude d’avocats mandatée par la banque. L’enquête portait sur les aspects suivants, en lien avec la relation d’affaires litigieuse : 1) clarification des circonstances ; 2) vérification du respect des prescriptions légales ; 3) description des mesures à mettre en place pour remédier à d’éventuelles violations du droit bancaire (consid. 6.3). Le rapport était accompagné d’annexes, soit, entre autres, d’e-mails, de protocoles d’audition de collaborateurs de la banque, ou encore d’enregistrements de conversations téléphoniques (consid. 9.5).

En août 2016, le DFF demande le rapport à la FINMA et se heurte au refus du régulateur (consid. 8.3).

En novembre 2016, le DFF se tourne vers la BKB pour la remise du document. La banque le lui transmet sous forme électronique, scellé par un mot de passe.

En janvier 2017, le DFF demande à la Cour des plaintes du TPF la levée des scellés. La Cour des plaintes rejette la requête et ordonne le retour des pièces en mains de la banque. Le DDF recourt au TF et obtient gain de cause.

Les juges lausannois ont reproché à l’instance inférieure d’avoir considéré de manière « forfaitaire » que les documents litigieux étaient protégés, dans leur intégralité, par le secret de l’avocat. Reprenant en substance ses arguments déjà exposés dans son arrêt de 2016, le TF rappelle que, dans le cadre de la lutte anti-blanchiment, les mesures de compliance ainsi que l’auditing et le controlling internes font partie des tâches centrales d’une banque (consid. 4.4). Parmi ces mesures figure le devoir de documentation de l’intermédiaire financier des art. 7 LBA et 22 OBA-FINMA. Dans des configurations complexes, la documentation au sens des deux dispositions précitées peut s’étendre à des rapports d’enquête interne et aux pièces y relatives (consid. 4.5). Dans ce contexte, si la banque délègue à une étude d’avocats des obligations qui lui sont propres, elle ne peut pas se réfugier « intégralement » derrière le secret professionnel (consid. 4.13). D’ailleurs, une telle tâche peut être confiée à d’autres spécialistes, internes ou externes à la banque (consid. 4.6 et 4.16).

En cas de mandats dits « mixtes », dans le cadre desquels l´avocat est chargé aussi bien de délivrer des conseils juridiques que d´effectuer des tâches de controlling et d’auditing en lien avec le respect des obligations anti-blanchiment, il convient de différencier les deux missions, seule la première relevant de son activité typique (consid. 4.13). En l’espèce, un tel mandat mixte avait bel et bien été confié à l’Étude d’avocats (consid. 4.16). Il appartenait donc à l’instance inférieure d’effectuer un tri entre les pièces du rapport d´enquête couvertes par le secret professionnel et celles relevant de l’activité accessoire de l’avocat, soit les documents relatifs aux devoirs appartenant originairement à l’entité assujettie à la surveillance des marchés financiers (consid. 4.19 et 5.1).

Armée des considérants du TF, la Cour des plaintes a considéré que ni l’établissement de l’état de fait, ni son appréciation au regard des risques juridiques et réputationnels, ni l’exposé des mesures à mettre en place ne relevait de l’activité typique de l’avocat (consid. 9.5). Les annexes ont subi le même sort. En conséquence, elle a accepté la levée des scellés sur l’intégralité du rapport d’enquête.

Un recours au TF a été déposé contre cet arrêt.

La brièveté voulue de ce commentaire s’oppose à une discussion de l’épineuse problématique que cette affaire soulève. Nous nous contenterons donc de quatre brèves remarques et renvoyons pour le surplus le lecteur intéressé aux auteurs qui se sont penchés sur le sujet (entre autres Raedler/Chappuis, Les enquêtes internes et le secret professionnel de l’avocat : la fin d’une époque ?, Revue de l´avocat 2018, p. 297 ; Wohlers/Lynn, Das Anwaltsgeheimnis bei internen Untersuchungen, recht 2018, p. 9).

  • Tant l’arrêt du TF de 2016 que la présente décision s’inscrivent dans le cadre de la lutte anti-blanchiment qui impose aux intermédiaires financiers des obligations spécifiques de collaboration avec les autorités pénales (cf. 7 al. 2 LBA, art. 22 al. 2 OBA-FINMA).
  • L’étendue – controversée en doctrine – du devoir de documentation de l’art. 7 LBA doit maintenant faire l’objet d’une analyse approfondie par la jurisprudence.
  • L’argument du TF, repris par le TPF, selon lequel les tâches déléguées par la banque n’avaient pas nécessairement besoin d’être assumées par un avocat n’est pas pertinent : il est évident que le secret professionnel n’est pas limité aux seules fonctions qui ne peuvent être investies que par un avocat.
  • Comme dans les meilleures séries – et nonobstant le résultat du recours pendant au TF – un retournement de situation peut survenir au dernier épisode : la décision de la Cour des plaintes, à l’instar de celle du TF de 2016, portent sur une procédure de levée des scellés. Il est encore envisageable – même si peu probable – que le juge du fond déclare le rapport d’enquête interne inexploitable pour violation de l’art.46 al. 3 de la loi fédérale sur le droit pénal administratif.