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Entraide pénale internationale

De la proportionnalité à l’utilité potentielle

Par commission rogatoire internationale du 30 avril 2015, le Ministère public de la République de Parana (Brésil) demande la coopération des autorités suisses dans le cadre d’une enquête diligentée dans l’affaire « Petrobras ». L’autorité requérante sollicite la remise d’informations bancaires concernant la société offshore B. Ltd domiciliée aux Iles Vierges Britanniques et titulaire de comptes bancaires en Suisse. Par décision de clôture du 30 juillet 2018, le Ministère public de la Confédération (MPC) ordonne la transmission aux autorités brésiliennes de la documentation bancaire.

L’ayant droit économique de la société offshore interjette un recours devant le Tribunal pénal fédéral (TPF). La qualité pour recourir lui est reconnue à titre exceptionnel. En effet, en vertu de l’art. 80h let. b EIMP, a qualité pour recourir en matière d’entraide quiconque est personnellement et directement touché par une mesure d’entraide et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Le titulaire d’un compte bancaire a toujours cette qualité pour recourir (l’art. 9a let. a OIEMP). Ce n’est pas le cas de l’ayant droit économique. Lorsque le titulaire du compte est une société, l’ayant droit économique peut recourir à condition que la société soit dissoute et liquidée, qu’il prouve sa qualité d’ayant droit économique et qu’il forme le recours en son nom propre (ATF 123 II 153 consid. 2c).

Dans l’arrêt RR.2018.242 du 16 octobre 2018, le TPF reconnaît la qualité pour recourir à l’ayant droit économique et se prononce sur l’utilité potentielle de la transmission d’informations bancaires à l’autorité pénale brésilienne.

Le recours est constitué de deux séries de griefs. Dans la première série de griefs, le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu et de son droit à un procès équitable (art. 29 al. 1 Cst  ; art. 6 par. 1 CEDH). Dans la seconde série de griefs, qui fait l’objet du présent commentaire, le recourant reproche au MPC une violation du principe de proportionnalité.

Le principe de proportionnalité joue un rôle crucial dans l’entraide internationale en matière pénale. Les traités applicables à l’entraide ne l’érigent pas en une condition explicite à la coopération internationale ; il y figure de manière implicite. L’octroi de l’entraide par l’État requis exige que l’État requérant définisse, aussi précisément que possible, l’objet et les contours de sa requête (Zimmermann Robert, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 4e éd. 2014, N 719). Cela signifie que l’État requis ne peut en principe pas aller au-delà des requêtes qui lui sont soumises et ne peut accorder à l’État requérant plus qu’il n’a demandé.

En droit suisse, le principe de proportionnalité en matière d’entraide découle de l’art. 5 al. 2 Cst et de l’art. 63 al. 1 EIMP. L’État requis transmet à l’État requérant seulement les renseignements « nécessaires » à la procédure pénale menée à l’étranger. Or, le terme « nécessaire » peut avoir une connotation variable. Au fil du temps, la logique selon laquelle l’autorité requise ne peut transmettre que des renseignements et des documents mentionnés dans la demande d’entraide s’est vue inversée. La proportionnalité s’analyse désormais sous l’angle du principe d’utilité potentielle (Ludwiczak Maria, La proportionnalité en entraide internationale en matière pénale, in : PJA 2017, p. 610). Or, il ne s’agit plus seulement d’aider l’État requérant à prouver des faits qu’il connaît, mais d’en dévoiler d’autres, s’ils existent.

La relation entre le principe de proportionnalité et le principe d’utilité potentielle (potentielle Erheblichkeit) est à la fois complémentaire et antagoniste. D’un côté, le principe de proportionnalité protège la souveraineté de l’État requis. D’un autre côté, le principe d’utilité potentielle lutte contre une interprétation très restrictive du principe de proportionnalité qui entraverait la découverte des faits et conduirait à des demandes complémentaires de renseignements. En effet, l’État requis a un « devoir d’exhaustivité » envers l’État requérant qui justifie de communiquer tous les éléments réunis, propres à éclairer l’enquête menée dans l’État requérant (Zimmermann, N 723). Cela inclut les renseignements qui ne sont pas mentionnés dans la demande d’entraide, mais qui ont un lien de connexité « suffisant » avec les faits poursuivis à l’étranger.

Le TPF considère que la coopération internationale ne peut être refusée que si les actes requis sont « manifestement sans rapport » avec l’infraction poursuivie et « impropres à faire progresser l’enquête ». En d’autres termes, la coopération ne peut être refusée qu’en cas d’une recherche indéterminée de moyens de preuve (fishing expeditions). Dans les autres cas, l’autorité requise doit interpréter la demande d’entraide selon le sens que l’on peut raisonnablement lui donner. Rien ne s’oppose à une interprétation extensive du principe de proportionnalité si toutes les conditions de l’entraide sont remplies.

Dans le cadre d’une demande relative à des informations bancaires, l’utilité potentielle découle du fait que l’autorité requérante peut vouloir comprendre le cheminement de fonds d’origine délictueuse ou vérifier que les agissements qu’elle connaît déjà n’ont pas été précédés ou suivis d’autres actes du même genre. In casu, il ressort de la demande d’entraide que des transactions auraient été effectuées entre la société offshore et une autre société par laquelle aurait transité une partie des pots-de-vin objet de l’enquête brésilienne. En l’occurrence, les renseignements bancaires présentent une utilité potentielle et ont un lien de connexité suffisant avec l’affaire « Petrobras ». Le TPF conclut à leur remise à l’autorité requérante.