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Droit pénal administratif

La poursuite de la banque selon l’art. 49 LFINMA

La procédure de droit pénal administratif dirigée contre la Banque cantonale de Fribourg (BCF) pour violation du devoir de communiquer un soupçon de blanchiment d’argent au MROS (art. 9 LBA cum art. 37 al. 2 LBA) s’est soldée par un acquittement. Le jugement du Tribunal pénal fédéral (TPF) du 26 avril 2019 libérant la BCF des fins de la poursuite pénale est entré en force (SK.2018.47).

Les faits à la base de l’affaire sont en substance les suivants. Le 1er juin 2010, un virement de EUR 190’000, qui s’avérera frauduleux, est effectué sur un compte ouvert au nom de la société C. SA dans les livres de la BCF. Le lendemain, environ le tiers de ce montant est retransféré en faveur de divers bénéficiaires. Le 4 juin 2010 B., administrateur unique de C. SA, dépose plainte pénale contre diverses personnes prétendument impliquées dans la transaction de EUR 190’000 (B. lui-même sera finalement condamné pour blanchiment d’argent relativement aux opérations financières précitées). Le 14 juin 2010, l’Office des juges d’instruction du canton de Fribourg ouvre une procédure pénale. Il demande des informations à la BCF le 24 juin 2010, documents qu’il reçoit le 29 juin 2010.

En février 2017, suite à une plainte pénale déposée en été 2016 par B. contre les personnes responsables au sein de la BCF pour les faits susmentionnés, le Département fédéral des finances (DFF) ouvre une procédure pénale administrative et condamne le 19 juin 2017 la BCF pour violation du devoir de communication, commise du 4 au 29 juin 2010 (art. 37 al. 2 LBA cum art. 49 LFINMA).

Le débat entourant cette procédure s’est tout d’abord articulé autour de la question de la prescription pénale de l’infraction à l’art. 37 LBA. Le TPF avait dans un premier temps admis l’acquisition de la prescription (jugement SK.2017.38 du 23 novembre 2017, commenté in Katia Villard, cdbf.ch/990), avant d’être désavoué par le Tribunal fédéral (TF) (ATF 144 IV 391, commenté in Katia Villard, cdbf.ch/1019).

Purgée au niveau du TF, la problématique de la prescription aurait pu être passée sous silence dans le présent commentaire si elle n’avait pas donné lieu à une considération « en passant » du TPF, qui nous laisse perplexes, pour dire le moins. Invités par le Tribunal fédéral à déterminer le point de départ du délai de prescription, les juges de Bellinzone avaient, au vu des circonstances d’espèce, le choix entre deux dates (24 ou 29 juin 2010), étant précisé que cette alternative ne remettait de toute façon pas en cause la non-acquisition de la prescription. À l’instar du DFF, le TPF a retenu la date du 29 juin. Et pourquoi ? Parce que, dixit le TPF, « la Cour est (…) liée par le prononcé pénal du 19 juin 2017 et retiendra dès lors que l’obligation de communiquer de la banque A. a pris fin le 29 juin 2010 » (consid. 5.8.3). Nous peinons à identifier la base légale prévoyant que la Cour des affaires pénales du TPF est lié par les considérations de fait établies par le DFF. Par ailleurs, si, conformément au principe d’accusation, il ne peut aller au-delà de la période retenue par le DFF, la tâche lui incombe de déterminer s’il doit aller en deçà.

Sur la question juridique principale maintenant.

Dans le cadre d’une procédure ouverte pour infraction à l’art. 37 LBA, l’art. 49 LFINMA permet au DFF de poursuivre directement la banque en lieu et place des personnes physiques responsables de la violation du devoir de communication à deux conditions : 1) l’enquête rendrait nécessaires à l’égard de ces personnes des mesures d’instruction hors de proportion par rapport à la peine encoure ; 2) l’amende entrant en ligne de compte ne dépasse pas CHF 50’000.-.

La première condition – qui n’est pas un modèle de rédaction – signifie que les mesures d’enquête propres à établir les responsabilités individuelles doivent apparaître disproportionnées – en temps et/ou en argent – par rapport à la gravité de l’infraction (consid. 5.11.3). En résumé, elle s’articule autour de l’identification des auteurs physiques responsables.

Cette condition de la disproportion interdit aux autorités de poursuite d’agir « automatiquement » contre l’entreprise plutôt que contre les individus. Elle requiert de l’autorité de poursuite de procéder « à un minimum d’actes d’investigations » (consid. 5.11.3). En d’autres termes, dans un cas comme celui qui nous occupe, le DFF doit au moins procéder aux actes d’enquête usuels aptes à déterminer les responsabilités individuelles, tels que, en particulier, l’interrogatoire des employés impliqués dans la relation d’affaires litigieuse.

En l’occurrence, le DFF a renoncé à poursuivre les personnes physiques sans avoir procédé à la moindre audition et a justifié l’application de l’art. 49 LFINMA (notamment) par l’imminence de la prescription pénale (consid. 5.11.4).

C’est avec raison que le TPF oppose une fin de non-recevoir à ce dernier argument. La survenance de la prescription n’est pas un motif d’imputabilité de la responsabilité pénale, et ce encore moins si elle est due à une surcharge de travail de l’autorité et non à l’attitude de l’entreprise prévenue. Quant au principe de la légalité, applicable en droit pénal administratif comme en droit pénal ordinaire, il interdit d’assouplir les conditions de l’art. 49 LFINMA.