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Reddition de compte

Etendue du devoir de renseigner d’une banque à l’égard d’une cliente en faillite

Le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé sur l’étendue du devoir d’information d’une banque dans une procédure de faillite (5A_126/2020 du 8 juin 2020, destiné à la publication). La situation factuelle peut être résumée comme suit.

Une procédure de faillite ancillaire est ouverte en Suisse contre une société dont le siège se trouve aux Iles Caïmans. La société en faillite avait entretenu diverses relations d’affaires avec une banque genevoise.

Le 12 juin 2019, sur demande des liquidateurs étrangers, l’Office cantonal des faillites genevois invite la banque à lui transmettre, sous menace de l’art. 324 ch. 5 CP, divers documents relatifs, d’une part, aux relations entretenues avec la société en faillite de manière générale et, d’autre part, à des virements intervenus en juillet 2009. Ces informations pourraient potentiellement fonder une prétention des liquidateurs à l’encontre de la banque.

La banque ne fournit qu’une partie des documents et forme ensuite une plainte auprès de la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et faillites de la Cour de justice du canton de Genève. La banque conclut à l’annulation d’une partie de la décision de l’Office et à la constatation qu’elle a rempli son obligation de renseigner découlant de l’art. 222 al. 4 LP.

Selon la Cour de justice, seuls les documents de nature purement interne ne doivent pas être transmis à l’Office, ce qui n’était toutefois pas le cas de la plupart des documents en question. La banque intente un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cette décision, concluant à ce que sa plainte soit admise. Le recours oppose la banque à l’Office.

La banque soutient que les informations demandées par l’Office n’entrent pas dans le champ d’application de l’art. 222 al. 4 LP, mais qu’elles constituent une requête déguisée en reddition de compte, laquelle doit s’exercer dans une action au fond devant le juge civil fondée sur l’art. 400 CO.

Une différence entre ces deux procédures réside dans les conséquences d’un refus de fournir les informations demandées. En effet, un refus de renseigner dans une procédure de faillite déclenche des sanctions pénales (art. 222 al. 4 LP cum art. 324 ch. 5 CP), ce qui n’est pas le cas dans une procédure civile en reddition de compte (sous réserve des situations dans lesquelles l’ordonnance est assortie de la menace de l’art. 292 CP).

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que, conformément à sa jurisprudence (ATF 125 III 391, c. 2), le devoir de renseigner s’applique aussi aux banques, qui ne peuvent pas se retrancher derrière le secret bancaire pour refuser de répondre à l’Office.

Le Tribunal fédéral analyse ensuite le contenu du devoir d’information de l’art. 222 al. 4 LP. Selon le texte de la loi, « les tiers qui détiennent des biens du failli ou contre qui le failli a des créances ont (…) la même obligation de renseigner que le failli ». L’art. 222 al. 1 LP impose au failli un devoir de collaboration étendu, notamment s’agissant de créances qu’il pourrait avoir contre des tiers ainsi que des documents qui permettraient de faire valoir de telles créances.

Ce large devoir de renseigner s’explique par la nature de la procédure de faillite, qui vise à désintéresser totalement ou partiellement les créanciers par le biais de la réalisation des biens du failli. Or, pour pouvoir exécuter cette tâche, l’autorité en charge de l’administration de la faillite doit avoir à disposition toutes les informations nécessaires pour déterminer le patrimoine du failli, en particulier s’agissant des créances que le failli (respectivement ses liquidateurs) peut faire valoir contre des tiers.

Le devoir du tiers de renseigner l’Office comprend les informations propres à déterminer l’existence, l’étendue et, le cas échéant, le lieu de situation des biens du failli. Cela regroupe les avoirs et prétentions, même contestées, dont le failli est titulaire à l’encontre du tiers ainsi que des documents permettant de faire valoir ces droits.

Dans le cas d’espèce, le failli et le tiers ont la particularité d’être liés par une relation bancaire (à laquelle les règles du mandat sont applicables). De cette relation découle un devoir de rendre compte et de restituer (art. 400 CO). L’obligation de rendre compte comprend, entre autres, toutes les informations nécessaires à fonder l’obligation de restitution. Plus généralement, le mandataire doit informer son mandant de manière complète et véridique et lui remettre tous les documents en lien avec le mandat, sous réserve de documents « purement internes » (tels que des études préalables, des notes, des projets et la comptabilité) qui ne sont pas pertinents pour vérifier la bonne exécution du mandat.

Comme le tiers a la même obligation de renseigner que le failli, si le failli ne peut pas accéder à certains documents en raison de l’art. 400 CO pour les transmettre à l’Office (par exemple la production de documents « purement internes »), alors le tiers (mandataire) n’a pas non plus à fournir ces documents à l’Office. En d’autres termes, le tiers (la banque) peut refuser de transmettre à l’Office uniquement les documents qu’il aurait pu refuser de transmettre à son mandant (la société). En revanche, le tiers est tenu de renseigner l’Office sur toutes les informations qui découlent de son devoir de rendre compte de l’art. 400 CO.

En résumé, cette décision permet de constater que le devoir du tiers de renseigner l’Office (art. 222 al. 4 LP) est aussi étendu que le devoir du mandataire de rendre compte (art. 400 CO) lorsqu’un contrat de mandat lie le tiers et le failli.