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Procédure pénale

Principe de la transparence et séquestre pénal

En matière de séquestre pénal de valeurs patrimoniales, les conditions d’application du principe de la transparence (« Durchgriff ») sont les mêmes qu’en droit civil (TF, 6B_993/2019 du 15 juin 2020).

C. est condamné pour divers actes de gestion déloyale, dont la perception indue de rétrocessions (art. 158 ch. 1 al. 1 et 3 CP ; sur le même état de fait, voir TF, 6B_910/2019 du 15 juin 2020, commenté in Katia Villard, cdbf.ch/1149). Une créance compensatrice est prononcée contre lui à hauteur de CHF 3’703’515.50.

Tenant les conditions d’application de la théorie de la transparence pour réalisées, la juridiction d’appel maintient un séquestre sur des valeurs patrimoniales – trois certificats d’actions nominatives et un compte bancaire – appartenant à A. SA, dont le condamné est actionnaire unique.

Elle requiert, d’une part, que le ministère public vende au plus offrant les certificats d’actions et, d’autre part, que la banque dépositaire solde le compte bancaire. Le produit net de ces opérations doit ensuite être versé sur un compte bancaire des services financiers du canton.

Les juges de deuxième instance décident que les valeurs patrimoniales séquestrées seront utilisées, en premier lieu, pour couvrir les frais de la procédure et, en second lieu, pour garantir l’exécution de la créance compensatrice.

A. SA recourt au Tribunal fédéral et conclut à la levée des séquestres pénaux.

Les juges fédéraux doivent déterminer si et à quelles conditions le principe de la transparence s’applique dans le cadre de séquestres en couverture des frais et en vue de de l’exécution d’une créance compensatrice.

Selon l’art. 71 al. 3 phr. 1 CP, l’autorité d’instruction peut placer sous séquestre, en vue de l’exécution d’une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée. Des valeurs patrimoniales du prévenu peuvent également être mises sous séquestre dans la mesure qui paraît nécessaire pour couvrir les frais de procédure (art. 268 al. 1 let. a CPP en lien avec l’art. 263 al. 1 let. b CPP).

En application du principe de la transparence, le séquestre peut également porter sur des valeurs patrimoniales d’une société tierce. Le Tribunal fédéral reprend les conditions développées dans le cadre de sa jurisprudence civile : un « Durchgriff » est notamment possible lorsque (1) il existe une identité économique entre la personne morale et le sociétaire et (2) la dualité juridique est invoquée de manière abusive pour ne pas remplir des obligations légales ou contractuelles (cf. not. ATF 145 III 351 c. 4.2). Dans une telle hypothèse, s’agissant de la créance compensatrice, la personne morale n’a pas la possibilité de se prévaloir de sa bonne foi et de la fourniture d’une contre-prestation adéquate (ou de la rigueur excessive) pour éviter le prononcé de la mesure confiscatoire (cf. art. 70 al. 2 CP, par renvoi de l’art. 71 al. 1 CP).

La recourante conteste tout d’abord que le principe de la transparence soit applicable dans le cas d’espèce, au motif que le condamné et son épouse utilisent la société pour l’administration et l’investissement de biens matrimoniaux. Le Tribunal fédéral considère que l’autorité précédente n’est pas tombée dans l’arbitraire en retenant que les valeurs patrimoniales de A. SA sont économiquement attribuables à son actionnaire C. En particulier, il a uniquement été allégué que la conjointe de C. – non-actionnaire – a apporté ses propres biens à la société, sans toutefois que des explications circonstanciées sur les prétentions que l’épouse pourrait faire valoir contre la personne morale aient été fournies.

A. SA relève ensuite qu’elle est une société dont l’unique but est la gestion de ses propres actifs. De telles sociétés sont reconnues à des fins fiscales dans certains cantons bien qu’elles n’exercent aucune activité commerciale réelle. Or, pour les juges fédéraux, cela ne signifie pas encore que A. SA puisse invoquer son indépendance juridique dans le cadre de la procédure pénale. La société n’a pas d’activité opérationnelle propre et C. y a transféré ses actifs afin d’en empêcher le séquestre par les autorités pénales, de sorte que la juridiction d’appel a correctement appliqué le principe de la transparence.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de A. SA et maintient les séquestres pénaux.

La solution des juges de deuxième instance quant à la réalisation et la répartition des valeurs patrimoniales séquestrées mérite quelques brèves observations. L’art. 442 al. 4 CPP crée un privilège de l’État sur les autres créanciers du condamné et permet aux autorités pénales d’utiliser prioritairement les avoirs séquestrés d’origine licite pour couvrir les frais de la procédure. Un telle prérogative existe aussi en matière de confiscation (art. 70 al. 1 CP et art. 44 LP). En ce qui concerne la créance compensatrice, aucune base juridique correspondante n’existe. Cette prétention doit être exécutée par les autorités pénales par le biais de la LP (art. 442 al. 1 CPP).

C’est donc à priori sur la base de l’art. 442 al. 4 CPP que la juridiction d’appel s’est octroyé la compétence d’ordonner à la banque dépositaire de solder le compte de A. SA et a conféré au ministère public la tâche de réaliser les certificats d’actions.

On peut se demander si cette manière de procéder est conforme au droit dans l’hypothèse où une partie des valeurs patrimoniales demeurerait disponible à la suite du paiement des frais de la procédure. En effet, s’agissant de l’exécution de la créance compensatrice, non seulement la distribution des deniers mais également la réalisation des valeurs patrimoniales séquestrées doivent intervenir conformément à la LP et sont du ressort des autorités compétentes en la matière (voir aussi CPR GE, ACPR/381/2020 du 5 juin 2020).