Union européenne
Le Digital Finance Package, partie 1 : Markets in Crypto-Assets
Jeremy Bacharach
En octobre 2019, le Centre de droit bancaire et financier, visionnaire, innovait en lançant le CAS Digital Finance Law, qui accueillera sa seconde volée en avril 2021. Près d’un an plus tard, la Commission européenne – manifestement à la traîne – publiait à son tour son Digital Finance Package. Long de près de 600 pages, le Digital Finance Package est un train de mesures visant à compléter la réglementation financière européenne face à la digitalisation grandissante de la finance.
Les mesures envisagées par le Digital Finance Package sont divisées en trois blocs :
- Le premier bloc porte sur la réglementation des crypto-actifs et de la blockchain. Il est composé d’un projet de règlement sur les marchés de crypto-actifs (P-MiCAR, parfois nommé MiCA) ainsi que d’un projet de réglementation pilote concernant les infrastructures de marché fondées sur la technologie des registres distribués (TRD). Le présent commentaire se focalisera exclusivement sur le projet MiCAR. Nous renvoyons les lecteurs intéressés par les infrastructures de marché à la lecture du projet y relatif.
- Le second bloc porte sur la « résilience digitale » des acteurs de l’industrie financière, et consiste en un projet de « Regulation […] on digital operational resilience for the financial sector ». Nous l’examinerons dans un tout prochain commentaire.
- Le troisième bloc, enfin, est une prise de position de la Commission européenne sur la stratégie européenne en matière de paiements de détail. Les implications juridiques sont encore limitées à ce stade.
Philosophie
Les buts poursuivis par la Commission dans l’élaboration du projet MiCAR ne diffèrent pas substantiellement de ceux invoqués par les autres juridictions qui se livrent au même exercice : garantir la sécurité juridique, promouvoir l’innovation et prévenir les risques. Les habitués de ce thème réglementaire sont déjà familiers de ce trio.
La forme de l’instrument est cependant notable : la Commission propose d’adopter un règlement plutôt qu’une directive. Pour mémoire, les règlements s’imposent directement aux États membres et à leurs citoyens, tandis que les directives doivent être mises en œuvre par les États membres, le plus souvent avec une certaine marge de manœuvre. Ce choix n’est pas réellement explicité par le Digital Finance Package, à l’exception d’une courte indication selon laquelle « le choix s’est porté sur un règlement afin d’arrêter un ensemble unique de règles immédiatement applicables dans tout le marché unique ». Peut-on y deviner une volonté d’éviter que les États membres ne se livrent à une concurrence réglementaire ?
Contenu
Avec le P-MiCAR, la Commission européenne propose de soumettre les crypto-actifs à un cadre réglementaire relativement strict. Cette réglementation est principalement centrée sur l’offre au public de crypto-actifs. Les crypto-actifs qui tombent déjà dans l’une des catégories juridiques du droit de l’Union européenne seraient toutefois exclus de son champ d’application (2(2) P-MiCAR) : ce serait notamment le cas de ceux pouvant être qualifiés d’instruments financiers au sens de MiFID ou du Rég. Prospectus.
Le projet distingue trois types de crypto-actifs :
- Les « crypto-actifs » au sens large (« crypto-assets »), définis comme « une représentation numérique d’une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire » (3(1)(2) P-MiCAR). En cas d’offre de crypto-actifs au public pour un montant supérieur à EUR 1 million (4(2)(e) MiCAR), la rédaction d’un livre blanc (white paper) – défini comme une sorte de proto-prospectus – serait requise. Le livre blanc devrait être communiqué aux autorités réglementaires compétentes (mais non approuvé par celles-ci : 7(1) P-MiCAR ; cf. 20 Rég. Prospectus). L’émetteur devrait en outre être organisé sous la forme d’une personne morale (4(1)(a) P-MiCAR) et respecter des règles de comportement élémentaires (13 P-MiCAR).
- Les jetons se référant à un ou des actifs (« asset-referenced token »), c’est-à-dire « un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiat qui ont cours légal, à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs » (3(1)(3) P-MiCAR). En cas d’offre au public pour un montant supérieur à EUR 5 millions (15(3)(a) P-MiCAR), les émetteurs de tels jetons devraient, en plus de la rédaction d’un white paper, être autorisés et surveillés par une autorité réglementaire (15 ss P-MiCAR). Ils seraient également soumis à un régime particulièrement strict concernant la réserve d’actifs censés garantir la stabilité de leurs jetons (32 ss P-MiCAR).
- Les jetons de monnaie électronique (« e-money token »), soit « un type de crypto-actif dont l’objet principal est d’être utilisé comme moyen d’échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie fiat qui a cours légal » (3(1)(4) P-MiCAR). En cas d’offre au public de jetons de monnaie électronique, les émetteurs devraient appliquer par analogie les règles de la Directive e-money, y compris l’obligation d’être autorisé en qualité d’établissement de crédit ou d’établissement de monnaie électronique (43 P-MiCAR). Point important : ils devraient également octroyer aux détenteurs le droit de se voir rembourser la valeur monétaire de leurs jetons (redemption, 44 P-MiCAR).
Le P-MiCAR confère à l’Autorité bancaire européenne le droit de désigner certains jetons se référant à un ou des actifs ou jetons de monnaie électronique de « jetons d’importance significative » (significant). Le cas échéant, cette qualification entraînerait des contraintes réglementaires supplémentaires (39 ss et 50 ss P-MiCAR) ainsi qu’une surveillance par l’Autorité bancaire européenne (98 ss P-MiCAR).
Le Titre V du P-MiCAR (art. 53 ss) est consacré aux prestataires de service sur crypto-actifs (crypto-asset service providers), c’est-à-dire aux acteurs offrant des services financiers ou quasi-financiers en lien avec des crypto-actifs. En bref – votre auteur bien dévoué est sur le point de dépasser sa limite de caractères –, ils devraient être autorisés, faire l’objet d’une surveillance courante, et respecter un certain nombre de règles de comportement (59 ss P-MiCAR).
En conclusion, et s’il fallait ne retenir qu’une seule chose du projet MiCAR, ce serait que la Commission européenne envisage fondamentalement une extension du champ d’application de la réglementation financière européenne à des instruments qui en était jusqu’ici exclus. Cette extension ne serait cependant novatrice que sous très peu d’aspects. En effet elle reprendrait et appliquerait surtout – « à la carte » – des exigences déjà inscrites dans plusieurs autres textes : le Règ. Prospectus, la Directive e-money, le MAR, MiFID ou encore UCITS.
Sources