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Contrats bancaires

L’absence de profil de risque sans conséquences ?

Lorsque le client et son gérant de fortune conviennent d’une stratégie de placement, le client peut-il a posteriori se plaindre du fait que son profil de risque a mal été établi ? Dans un arrêt du 23 octobre 2020, le Tribunal fédéral répond à cette question par la négative (4A_72/2020).

En résumé, une cliente confie la gestion de ses avoirs à un gérant externe. Selon le mandat de gestion de fortune, le « profil d’investissement » vise un « rendement absolu ». Quelques années plus tard, la cliente se plaint de deux investissements de 3 millions d’euros en affirmant que le gérant aurait dû opter pour une gestion conservatrice, alors que celui-ci soutient qu’ils étaient convenus d’une gestion agressive.

Saisi par la cliente, le Tribunal de première instance de Genève lui donne raison et condamne le gérant en raison de la violation de la stratégie convenue. Sur appel, la Cour de justice déboute la cliente. Après avoir constaté la réelle et commune volonté des parties, elle souligne que l’investissement visait des profits importants et que la cliente assumait le degré de risque correspondant. Les parties avaient ainsi opté pour une gestion agressive.

Dans des considérants didactiques, le Tribunal fédéral examine le contrat de gestion de fortune. Le gérant doit tout d’abord établir le profil du client. Ce profil doit définir l’ampleur des risques que le client est prêt à assumer (propension subjective au risque) et qu’il peut se permettre de prendre compte tenu de son niveau de vie (capacité objective à supporter des risques). Pour ce faire, le gérant de fortune doit se renseigner (devoir d’investigation) sur la situation financière du client, ses objectifs d’investissement, sa disposition à prendre des risques, ainsi que sur ses connaissances et son expérience en matière de placements.

Le Tribunal fédéral souligne que l’obligation d’établir un profil du client, qui découle du devoir de diligence du mandataire (art. 398 al. 2 CO), a été reprise par les règles prudentielles (cf. l’art. 12 LSFin ainsi que les Cm. 7.1 et 7.2 des Règles-cadres pour la gestion de fortune de la FINMA (Circulaire 2009/1) , l’art. 1 des Directives concernant le mandat de gestion de fortune de l’ASB du 1er mars 2017, et l’art. 7 du Code suisse de conduite relatif à l’exercice de la profession de gérant de fortune indépendant du 1er août 2017).

Le profil du client permet ensuite au gérant d’établir la stratégie de placement de son client, laquelle comprend les objectifs d’investissement de celui-ci et les restrictions de placement. Le gérant doit informer le client des risques liés à la stratégie et aux restrictions de placement proposées. Ce devoir d’information du gérant est encore accru lorsque celui-ci propose des opérations spéculatives risquées.

Toutefois, même si un profil de risque n’a pas été établi, le client ne peut pas se plaindre, après la conclusion du contrat, de pertes subies, en faisant valoir qu’une politique d’investissement plus conservatrice correspondait mieux à sa situation personnelle, s’il ressort du contrat qu’il s’est dit prêt à poursuivre une politique d’investissement spéculative et risquée. Un tel comportement contradictoire ne mérite aucune protection, conformément à l’art. 2 al. 2 CC.

Le Tribunal fédéral examine ainsi la volonté des parties concernant la stratégie d’investissement. Après avoir rappelé la distinction entre l’interprétation subjective et objective du contrat (cf. art. 18 al. 1 CO), il constate que la Cour de justice est parvenue à établir que les parties voulaient procéder à une gestion agressive selon leur volonté réelle et commune. Il s’agit ainsi d’une question de faits que le Tribunal fédéral ne revoit que sous l’angle de l’arbitraire. Or les arguments de la cliente contre cette interprétation du contrat ne démontrent aucun arbitraire. Ils sont donc irrecevables.

D’un point de vue factuel, la cliente a accepté une gestion agressive et donc risquée. Selon le Tribunal fédéral, la cliente ne peut plus se plaindre, lorsqu’elle subit des pertes, qu’une politique d’investissement plus conservatrice correspondait mieux à sa situation personnelle. Le fait que le gérant n’ait pas établi de profil de risque, lequel aurait éventuellement démontré qu’un investissement conservateur aurait été plus approprié, n’y change strictement rien.

Le raisonnement retenu par le Tribunal fédéral ne nous convainc pas. Il revient à réduire à néant les conséquences d’une violation du devoir d’établir un profil du client. Or l’obligation d’établir un profil du client permet au gérant de recommander au client une stratégie de placement appropriée. Il va de soi que le client peut ensuite décider, après avoir été dûment informé de son profil client et conseillé sur le choix d’une stratégie, de se départir de cette proposition et opter pour une stratégie plus (ou moins) risquée. Néanmoins, à notre avis, le choix par le client d’une stratégie qui ne correspond pas à son profil de risque devrait être subordonné à l’établissement de son profil et au respect du devoir d’information. Si le gérant ne respecte pas ses obligations contractuelles, le choix du client pour une stratégie plus risquée n’est pas éclairé. Le gérant qui viole ses obligations de diligence (désormais ancrées dans la LSFin) devrait ainsi répondre du dommage qui en découle (à condition que le client réussisse à le prouver, cf. cdbf.ch/1004/). L’existence d’un abus manifeste demeure bien entendu réservée.

Notons enfin que le Tribunal fédéral semble s’être déjà départi de cette théorie bien trop stricte lorsque la cliente était inexpérimentée. En effet, il a considéré qu’une infirmière non expérimentée en finance pouvait valablement se plaindre d’une gestion trop risquée de son patrimoine lorsque le gérant n’avait pas établi son profil client et qu’elle ne pouvait pas saisir la portée de la stratégie de placement en raison de son manque d’expérience en la matière (4A_364/2013 du 5 mars 2014).