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Blanchiment d'argent

La révision LBA joue (en vain ?) les prolongations

Le 15 décembre 2020, le Conseil national a décidé, presque à l’unanimité – 189 voix contre une –, de renvoyer la révision de la LBA en commission « avec mandat de procéder à une nouvelle discussion par article ». L’idée est de retravailler le projet de manière à ce qu’un compromis permettant de rassembler une majorité puisse être trouvé. Au vu de l’antagonisme et de la diversité des positions au sein de l’hémicycle, le défi s’annonce compliqué à relever.

Depuis l’entrée en vigueur de la LBA le 1er avril 1998, les révisions législatives se sont succédé, depuis une bonne dizaine d’années, à un rythme soutenu (2009, 2013 et 2016). Celle actuellement en cours est la quatrième. Elle fait suite au rapport d’évaluation mutuelle de la Suisse par le GAFI de décembre 2016.

Les mesures les plus importantes et les plus controversées sont les suivantes :

  • la soumission à la LBA des « conseillers », soit des personnes – notaires et avocats compris – qui pratiquent certaines activités relatives à la constitution et la gestion de sociétés de domicile ou de trusts ;
  • l’abaissement du seuil de CHF 100’000.- à CHF 15’000.- pour l’assujettissement des négociants en métaux précieux et pierres précieuses à la LBA ;
  • diverses modifications en lien avec le système de communication au MROS, notamment l’ancrage dans la LBA ou son ordonnance d’application de la notion de soupçons fondés déclenchant le devoir d’annonce au sens de l’art. 9 LBA.

L’avant-projet date du 1er juin 2018 et le projet du 26 juin 2019. Le Conseil national s’est saisi de la question lors de sa session de mars 2020. Suivant l’avis d’une très courte majorité de sa commission, il a refusé, par 107 voix contre 89, d’entrer en matière. Nonobstant la pluralité des mesures prévues par le projet, l’unique raison de ce rejet était la réticence envers la soumission à la LBA des « conseillers ».

Suite à cette décision, la Commission des affaires juridiques du Conseil des États a demandé à l’administration de lui soumettre trois propositions tenant compte des critiques de la Chambre basse. La plus radicale était la suppression des dispositions relatives aux conseillers et c’est cette option-là qu’une majorité de la Commission a finalement choisie. La majorité s’est également prononcée contre l’abaissement du seuil pour le respect des obligations de diligence des négociants en métaux précieux et pierres précieuses. Elle a par ailleurs introduit dans la LBA une définition du « soupçon fondé » déclenchant le devoir d’annonce qui se veut – en théorie du moins – plus restrictive que celle préconisée à l’heure actuelle par les autorités administratives et judiciaires. Le 10 septembre 2020, le Conseil des États est entré en matière sur la révision et a adhéré aux propositions de sa Commission.

Le projet est ainsi retourné à la Commission des affaires juridiques du Conseil national. Au sein de celle-ci, une majorité s’est dégagée pour refuser, une seconde fois, d’entrer en matière. Elle était formée de deux camps opposés : pour les uns, il n’y avait de toute façon pas lieu de céder aux pressions du GAFI et de renforcer une loi qui serait déjà assez sévère ; pour les autres, il était exclu de soutenir un projet qui, en particulier de par l’abandon de la réglementation sur les conseillers, avait été vidé de sa substance. La Commission s’est toutefois également prononcée sur le fond, pour le cas où le Conseil national voterait l’entrée en matière. Elle a suivi le Conseil des États s’agissant de l’exclusion des conseillers du champ d’application de la loi. Elle a, en revanche, soutenu la proposition du Conseil fédéral d’abaisser le seuil pour la soumission à la LBA des négociants en métaux précieux et pierres précieuses et est revenue à une définition du « soupçon fondé » correspondant à l’approche actuelle.

À noter en outre qu’une majorité de la Commission du Conseil national s’est écartée du projet du Conseil fédéral sur trois autres points en lien avec le système de communication des soupçons au MROS, qui sont sujets à controverse et dont deux n’étaient jusqu’alors absolument pas prévus par la révision. Le premier – celui qui faisait déjà partie du projet – concerne le délai de traitement des communications par le MROS. La Commission du Conseil national, conformément aux opinions exprimées lors de la procédure de consultation, a proposé non pas la suppression du délai de traitement actuel de vingt jours, mais son allongement à trente jours. Le deuxième a trait à la fin du devoir de communication. Allant à contre-courant de la jurisprudence, la Commission a inséré un alinéa 4 à l’art. 9 LBA, prévoyant que le devoir de communication cesse avec la fin de la relation d’affaires, sauf si le soupçon est apparu auparavant. Le troisième a trait à la violation du devoir de communication : la Commission a proposé de supprimer l’alinéa 2 de l’art. 37 LBA qui incrimine la violation par négligence de cette obligation.

Lors de sa séance du 15 décembre 2020, le Conseil national, allant à l’encontre de la recommandation principale de sa Commission, a, cette fois-ci, voté l’entrée en matière. Une large majorité – 138 voix contre 50 – s’est déclarée convaincue de la nécessité d’une révision. Le projet a été renvoyé en commission pour remaniement. Reste qu’un consensus permettant de dégager une majorité va être difficile à trouver, en particulier – mais pas seulement – s’agissant des « conseillers ». Gauche et droite ont été assez claires lors des débats : la première n’acceptera pas un projet exempt de toute disposition relative aux activités de conseil et de gestion des sociétés de domicile et des trusts ; la seconde ne veut pas entendre parler d’une telle réglementation. Même si on estime qu’elle en vaut la peine nonobstant toutes les amputations qu’elle subirait, la révision LBA n’est de loin pas sauvée.