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Entraide pénale internationale

Des fonds confisqués et convoités

Dans un arrêt rendu le 16 octobre 2020 (RR.2019.349+RR.2019.350+RR.2019.351), le Tribunal pénal fédéral (TPF) analyse les conditions auxquelles une banque, estimant avoir des droits sur quelques USD 37 millions déposés sur des comptes ouverts en ses livres, peut s’opposer à leur remise à un État étranger.

Dans le cadre d’une procédure pénale menée notamment des chefs de délits boursiers, les États-Unis, par l’entremise du Department of Justice, ont adressé plusieurs demandes d’entraide judiciaire internationale en matière pénale à la Suisse, dont une datant de février 2017 visant à obtenir la remise d’avoirs déposés sur différents comptes ouverts auprès de la banque A. SA, notamment au nom de B. A. SA s’est opposée à cette remise.

Pour rappel, les valeurs saisies à titre conservatoire en Suisse peuvent être remises à l’État requérant en vue de confiscation au terme de la procédure d’entraide (art. 74a al. 1 EIMP). La remise intervient en principe sur décision définitive et exécutoire de confiscation de l’État requérant (art. 74a al. 3 EIMP).

S’agissant de la qualité pour recourir contre la décision ordonnant la remise à l’État requérant, la banque auprès de laquelle les comptes litigieux sont ouverts en est généralement privée, sauf dans le cas où elle est elle-même touchée dans ses propres intérêts, notamment lorsqu’elle fait valoir un droit réel ou un droit réel limité. En l’espèce, le TPF a considéré que le recours était recevable, au motif que la banque A. SA prétendait que ses créances contre les titulaires des comptes étaient garanties par gage.

À teneur de l’art. 74a al. 4 let. c EIMP, plusieurs conditions doivent être cumulativement remplies pour que les valeurs ne soient pas remises à l’État requérant, dont celles abordées ci-dessous.

(i) Les prétentions doivent être garanties par l’État requérant. Le TPF expose que le seul fait de pouvoir activement collaborer à la procédure diligentée par l’autorité requérante suffit pour que la condition soit remplie. Le TPF relève notamment qu’« une banque telle que banque A. SA avait la faculté et les ressources pour assurer le suivi du procès de B., ce d’autant plus qu’il s’agissait d’un client important de la banque […]. [La banque A. SA] est d’ailleurs également représentée aux États-Unis par un cabinet d’avocats » (c. 3.3.4). Ensuite, la banque devait avoir connaissance de la procédure américaine vu la médiatisation de la procédure en question d’une part et, d’autre part, puisque ses employés ont été entendus dans ce cadre par le MPC en 2012. Finalement, la décision de confiscation a été publiée aux États-Unis par voie édictale. Bien que connaissant l’existence de la procédure, la banque a renoncé à faire usage de la faculté de faire valoir ses prétentions devant les autorités américaines. Partant, « les prétentions de la banque A. SA étaient garanties par l’État requérant » (c. 3.3.4).

Dans ces développements, le TPF traite du droit de participer à, voire d’être entendu dans la procédure étrangère et l’assimile, à notre avis à tort, à une garantie fournie par l’État requérant. Or la garantie dont il est question à l’art. 74a al. 4 EIMP ne consiste pas en la simple possibilité de faire valoir des droits dans la procédure à l’étranger : le tiers doit être assuré de pouvoir obtenir les valeurs sur lesquelles il fait valoir le droit réel. Dans ce cas toutefois, ce qui nous semble être reproché à la banque A. SA est de ne pas avoir entrepris de quelconques démarches, à commencer par se manifester, en vue d’obtenir une garantie de la part des autorités américaines.

(ii) Le tiers doit faire valoir un droit sur les valeurs. Le droit en question doit être un droit réel ou un droit réel limité, une créance n’étant pas suffisante. S’agissant de la créance, elle doit être déterminée ou suffisamment déterminable au moment de la conclusion du contrat constitutif du droit de gage (ATF 142 III 746, commenté in
Thévenoz, cdbf.ch/957/
). La banque se prévaut de créances fondées sur l’art. 402 al. 2 CO (responsabilité du mandant du fait du dommage causé au mandataire par l’exécution du contrat). Concrètement, elle fait valoir qu’une action en paiement est pendante à son encontre en sa qualité de banquière de B., action pour laquelle les demandeurs à la class action prétendent avoir une créance pour un montant de plusieurs milliards de dollars. Le TPF estime que la banque échoue à rendre vraisemblable l’existence d’une créance, vu son caractère futur et indéterminé. Au surplus, le prêt accordé par A. SA à B., moyennant un nantissement, avait été intégralement remboursé. Ainsi, l’éventuelle créance déterminée sur laquelle A. SA aurait pu se baser avait cessé d’exister. À défaut de créance, et donc a fortiori de créance garantie par gage, la condition n’est pas remplie.

(iii) Le tiers doit avoir acquis le droit réel ou réel limité de bonne foi. Le TPF analyse cette condition « par soucis d’exhaustivité » (c. 3.3.7). Toutefois, dans la mesure où le TPF a exclu l’existence d’une créance, l’exercice n’a pas de portée pratique. Néanmoins, le TPF analyse la bonne foi de la banque en lien avec le nantissement déjà cité et expose que la banque ne pouvait ignorer que B. « était très probablement impliqué dans un mécanisme frauduleux de blanchiment d’argent au moment de la signature de l’acte de nantissement ». Ainsi, elle n’a « pas démontré avoir fait à temps toutes les démarches nécessaires pour s’assurer de l’origine de l’argent [ayant permis l’obtention du prêt et la signature de l’acte de nantissement] et de la régularité de ces fonds » (c. 3.3.7.3).

Les conditions de l’art. 74a al. 4 let. c EIMP n’étant pas remplies, le TPF confirme la remise des valeurs aux États-Unis aux fins de confiscation.