Aller au contenu principal

Garantie bancaire

Désignation imprécise du donneur d’ordre

Dans un arrêt 4A_223/2020 rendu le 30 octobre 2020 relatif à une garantie bancaire, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de se pencher sur les conséquences d’une désignation imprécise du donneur d’ordre dans la demande de paiement du bénéficiaire, et sur les conséquences du fait que la garantie désignait comme partie au contrat de base non pas le donneur d’ordre, mais une société sœur de celui-ci.

Une garantie indépendante avait été émise par une banque basée en Autriche sur ordre d’une société à responsabilité limitée sise en Autriche (« aa.bb cc___GmbH, Autriche », le donneur d’ordre), en faveur d’une société anonyme suisse (le bénéficiaire). La garantie, d’un montant maximum de CHF 233’949.98, avait été délivrée pour couvrir les défauts découlant d’un contrat d’entreprise (le contrat sous-jacent) conclu entre le bénéficiaire (le maître d’ouvrage) et une société sœur du donneur d’ordre (« aa.bb cc___GmbH, Suisse »), sise en Suisse, portant sur la construction de deux immeubles d’habitation sur un terrain en Suisse. Le paiement du montant de la garantie était subordonné à la remise d’une demande écrite du bénéficiaire attestant que « notre client n’a pas rempli ses obligations contractuelles ».

Le bénéficiaire a fait appel à la garantie auprès de la banque en alléguant que « aa.bb___ GmbH » n’avait pas rempli ses obligations contractuelles.

L’appel à la garantie était-il non-conforme du fait que la déclaration du bénéficiaire ne désignait pas de façon précise la partie qui avait violé ses obligations découlant du contrat d’entreprise ?

En vertu du principe de la rigueur des garanties (Garantiestrenge), le droit au paiement de la garantie se fonde uniquement sur le libellé de la garantie : l’appel à la garantie ne doit remplir que (mais aussi toutes) les conditions stipulées dans la clause de garantie (ATF 138 III 241 cons. 3.4).

En l’occurrence, si le préambule de la garantie se référait expressément au contrat sous-jacent entre le bénéficiaire et la société sœur du donneur d’ordre (« aa.bb cc___GmbH, Suisse »), la clause de garantie stipulait simplement que le bénéficiaire devait attester que « notre client » (i.e. le client de la banque) n’avait pas rempli ses obligations. La désignation, dans la demande de paiement du bénéficiaire, du cocontractant comme « aa.bb___GmbH » était certes imprécise. Toutefois, la demande indiquait clairement le numéro de la garantie, le montant de la garantie, et le nom du bénéficiaire, lesquels correspondaient au libellé de l’instrument de garantie. Notre Haute Cour a jugé que cette imprécision pouvait s’apparenter à une simple une faute d’orthographe, puisque la volonté réelle du bénéficiaire était de soutenir que le contrat sous-jacent, décrit dans la garantie, n’avait pas été correctement exécuté par l’entrepreneur, soit la partie qui s’était engagée à construire les deux immeubles (et non pas n’importe quel tiers). Par conséquent, l’appel était formellement conforme aux conditions de paiement prévues par la garantie.

La demande de paiement du bénéficiaire pouvait-elle être manifestement abusive, en se fondant sur le fait que le bénéficiaire n’aurait aucune prétention contractuelle contre le donneur d’ordre ? Le Tribunal fédéral a rappelé que l’indépendance de la garantie par rapport au contrat sous-jacent trouve ses limites lorsque l’appel est constitutif d’abus de droit (art. 2 al. 2 CC) ; dans ce cas, le garant a le droit (mais aussi l’obligation, à l’égard du donneur d’ordre), de refuser le paiement (ATF 138 III 241 cons. 3.2 ; ATF 122 III 321 cons. 4a). Dans le cas d’espèce, l’instrument de garantie se rapportait effectivement au contrat d’entreprise sous-jacent, conclu entre le bénéficiaire et une société sœur du donneur d’ordre (aa.bb cc___GmbH). Le donneur d’ordre prétendait qu’il n’était pas partie à ce contrat et donc que le bénéficiaire n’avait aucune prétention contre lui dont il pourrait invoquer la violation pour faire appel à la garantie. Or, suite à la conclusion du contrat d’entreprise, le donneur d’ordre s’était pourtant comporté comme l’entrepreneur lié par ledit contrat, de sorte que sa volonté réelle, qui était de se lier au bénéficiaire, était établie. Le Tribunal fédéral a également soutenu qu’il était contraire à la bonne foi pour le donneur d’ordre de faire émettre une garantie pour couvrir la non-exécution du contrat sous-jacent, puis de prétendre lors de l’appel à la garantie qu’il n’était pas lié par ce contrat. Le bénéficiaire n’avait alors pas abusé de son droit en faisant appel à la garantie en raison de défauts entachant le projet de construction pour lequel la garantie avait été émise.

Le Tribunal fédéral a enfin examiné si l’appel du bénéficiaire pouvait être abusif car fait en raison de défauts qui n’étaient pas couverts par la garantie. L’analyse structurelle des immeubles livrés par l’entrepreneur sur la base du contrat sous-jacent n’était pas du ressort du donneur d’ordre, dès lors que le bénéficiaire avait lui-même conclu les contrats relatifs à l’analyse structurelle avec des tiers. On aurait alors pu se demander s’il n’était pas abusif d’appeler à la garantie en raison de défauts relatifs à l’analyse structurelle. Le Tribunal fédéral a répondu par la négative, en soutenant que la liste des défauts remises par le bénéficiaire au donneur d’ordre montrait divers types de défauts qui ne concernaient pas seulement l’analyse structurelle. En cela, l’appel à la garantie n’était pas manifestement abusif.

En conclusion, notre Haute Cour a fait le constat qu’il est indifférent que les prétentions du bénéficiaire découlant du contrat sous-jacent soient formellement dirigées contre le donneur d’ordre. Ce qui importe pour déclencher l’obligation de paiement, c’est que les prétentions du bénéficiaire découlent du contrat mentionné dans l’instrument de garantie comme étant le contrat en couverture duquel la banque s’est engagée.

Cet arrêt illustre l’importance de désigner le contrat sous-jacent dans l’instrument de garantie. Même si la garantie est indépendante, elle est toujours reliée au contrat sous-jacent. Encore plus dans le cadre d’une garantie à première demande, payable sur simple demande de paiement accompagnée d’une déclaration selon laquelle le donneur d’ordre a manqué à ses obligations, la référence au contrat sous-jacent dans la garantie permet de déterminer si la violation invoquée par le bénéficiaire se rapporte à ce dernier. Il est au final plus important de savoir quelle est la prestation que la banque est tenue de couvrir plus que de savoir qui est le débiteur de cette prestation. Il est donc crucial que la relation sous-jacente puisse être clairement identifiée dans le contrat de garantie.