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Projets législatifs

Informations non financières, matières premières et travail des enfants

Suite au rejet le 29 novembre 2020 de l’initiative populaire « Entreprises responsables- pour protéger l’être humain et l’environnement », le contre-projet indirect devrait, sauf référendum, modifier le droit comptable dès le 1er janvier 2022 avec une obligation de transparence sur les questions non financières (art. 964 bis à 964 quater CO) selon le modèle de la Directive 2014/95/UE et des obligations de diligence et transparence en matière de minerais et métaux provenant de zones de conflit et du travail des enfants (art. 964 quinquies à 964 septies) selon les modèles du Règlement 2017/821/UE et du Dutch Child Labour Due Diligence Act.

Le 14 avril dernier, le Conseil fédéral a mis en consultation (jusqu’au 14 juillet 2021) le projet d’ordonnance sur les devoirs de diligence et de transparence dans les domaines de minerais et métaux provenant de zones de conflit et du travail des enfants (ODiTr), concomitamment à l’ouverture du délai référendaire de 100 jours concernant le contre-projet.

Le contre-projet consacre, tant pour les questions non financières qu’en matière de minerais et métaux provenant de zones de conflit et travail des enfants, un devoir d’établir un rapport qui doit être publié par voie électronique et rester accessible au public (avec conservation des documents sous-jacents) pendant dix ans au moins. Le rapport doit fournir des explications sur la politique adoptée ou l’absence de politique spécifique sur les thèmes touchés (principe comply or explain). La sanction est l’amende (CHF 100’000.- au plus), sans nouvelle règle de responsabilité. Une responsabilité civile ou pénale semble envisageable par le truchement d’autres dispositions. Quant au devoir de diligence en matière de minerais provenant de zones de conflit ou travail des enfants, le Conseil fédéral ne consacre pas d’interdiction. Ainsi, des minerais provenant de zones de conflits pourront être importés en Suisse. De même, des biens et services pour lesquels il existe un soupçon fondé de recours au travail des enfants pourront être offerts en Suisse. Le législateur s’en remet aux consommateurs, bailleurs de fonds et acteurs de la société civile pour réguler ces pratiques. Ce recours à la force normative sociétale se retrouve dans la recommandation 7 du rapport du Conseil fédéral du 21 avril 2021 sur l’état de la mise en œuvre de ses recommandations de 2018 sur le secteur des matières premières : le Conseil fédéral y refuse d’étendre les devoirs de transparence des paiements concernant l’extraction des matières premières (art. 964 a à f CO) au négoce des matières premières, promouvant plutôt l’adhésion aux principes de l’ITIE et au ICoC.

L’ODiTR et le rapport explicatif y relatif renvoient aux règlementations internationales pour les notions juridiques indéterminées : au Règlement 2017/821/UE et au Guide de l’OCDE de 2016 pour les exemptions en matière de minerais, à la Recommandation 2018/1149/UE pour la notion de zone de conflit ou à haut risque, aux Conventions no. 138 et 182 de l’OIT pour la définition d’âge minimum d’admission à l’emploi, à l’UNICEF Children’s Rights in the Workplace Index pour les faibles risques de travail des enfants et au Guide de l’OCDE de 2018 pour les exemptions en matière de travail des enfants. Les renvois aux règlementations internationales sont statiques : la version de l’année indiquée dans l’ODiTr s’applique. À défaut de précisions dans le contre-projet indirect ou dans l’ODiTr – hormis pour les objectifs de CO2 expressément mentionnés qui relient ainsi le contre-projet indirect au projet de révision de la loi sur le CO2 et protection du climat – les thématiques précises incluses dans les questions environnementales, sociales, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption sur lesquelles faire rapport doivent être comprises par référence à la Directive 2014/95/UE et aux lignes directrices de la Commission européenne de 2017 et 2019. Le thème de la diversité au sein des organes dirigeants, mentionné dans la directive 2014/95 mais non dans le contre-projet, est traité à l’art. 734f CO.

Le champ des entreprises assujetties s’inspire aussi de la règlementation européenne. Le texte suisse est plus restrictif. Ainsi, seules sont visées par l’obligation de transparence sur les questions non financières les entreprises ouvertes au public ou soumises à une autorisation, reconnaissance, agrément ou enregistrement de la FINMA et atteignant, individuellement ou de manière consolidée avec les entreprises suisses ou étrangères qu’elles contrôlent, 500 emplois à plein temps en moyenne annuelle et un bilan total de CHF 20 millions et un chiffre d’affaires de CHF 40 millions au cours de deux exercices consécutifs. Pour la transparence et diligence en matière de minerais provenant de zones de conflitet travail des enfants, seules sont visées les entreprises, avec siège, administration centrale ou établissement principal en Suisse, qui mettent en libre circulation ou traitent en Suisse des minerais ou métaux spécifiques (étain, tantale, tungstène ou or) ou offrent des biens ou services pour lesquels il existe un soupçon fondé de recours au travail des enfants.

Le contre-projet semble ainsi difficilement lisible sans référence aux règlementations européennes. Hasard (malheureux) du calendrier : une semaine après l’annonce du Conseil fédéral, le 21 avril dernier, la Commission européenne adoptait un projet de révision de la directive 2014/95. Le projet de la nouvelle directive RSE (CSRD) consacrerait dès 2023 un devoir de rendre compte selon des standards européens contraignants, un élargissement du champ des entreprises assujetties, l’introduction d’exigences plus détaillées, la révision des rapports et le « marquage » numérique des informations communiquées pour alimenter un point d’accès unique européen.