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Carte de crédit

Utilisation abusive par l’employé

L’employé qui utilise une carte de crédit professionnelle à des fins privées commet-il un abus de confiance au préjudice de son employeur ? C’est à cette question que le Tribunal fédéral répond – par l’affirmative – dans un arrêt 6B_701/2020 du 11 juin 2021.

Une banque octroie à une secrétaire de direction une carte de crédit à son nom et usage exclusif afin de lui permettre de s’acquitter de ses frais professionnels de manière indépendante.

Chaque mois, l’employée reçoit un relevé dont elle doit vérifier l’exactitude avant de le transmettre à son supérieur pour contrôle et approbation. Si elle a exceptionnellement utilisé sa carte à des fins privées, elle est tenue de mettre en évidence les opérations pertinentes afin que les montants y afférents soient déduits de son salaire.

En violation de ses obligations, l’employée utilise fréquemment sa carte de crédit pour des dépenses privées, sans les signaler à son employeur. Sur une durée de sept ans, elle dépense près d’un million de francs en restaurants, voyages et autres opérations de chirurgie esthétique.

Le 24 janvier 2011, la banque dépose une plainte pénale des chefs d’abus de confiance (art. 138 CP) et d’escroquerie (art. 146 CP) à l’encontre de son employée et se constitue partie plaignante au pénal et au civil. Elle réclame des dommages-intérêts à hauteur des sommes détournées.

Au terme de divers aléas procéduraux, le tribunal de district de Zurich acquitte intégralement la secrétaire de direction et renvoie la banque à agir au civil s’agissant de ses prétentions en dommages-intérêts. Ce jugement est confirmé en appel.

La banque saisit par conséquent le TF d’un recours et conclut à ce que son employée soit reconnue coupable d’abus de confiance et condamnée à lui verser les dommages-intérêts requis.

Dès lors que la banque n’a pas contesté l’acquittement du chef d’escroquerie, le TF ne s’y attarde pas. Il rappelle que l’instance cantonale a estimé que la condition de l’astuce faisait défaut puisque la secrétaire de direction n’avait falsifié aucun relevé, de sorte que ses dépenses privées étaient facilement visibles. Un contrôle élémentaire, possible et raisonnablement exigible – d’ailleurs explicitement prévu par le règlement interne – aurait permis de reconnaître que la carte avait été utilisée contrairement aux instructions.

C’est donc sous l’angle de l’abus de confiance que le TF analyse ensuite les faits reprochés à l’employée.

D’après l’instance cantonale, en octroyant une carte de crédit à son employée, la banque ne lui avait pas accordé un pouvoir de disposition « largement incontrôlé » (weitgehend unkontrollierte) sur des valeurs patrimoniales dans la mesure où – précisément – un mécanisme de contrôle était prévu. Le tribunal zurichois a ainsi considéré que l’employée n’avait pas de pouvoir de disposition matériel puisque le compte de la banque n’était en définitive débité des montants figurant sur les relevés de carte qu’une fois ceux-ci contrôlés et approuvés par la hiérarchie.

En d’autres termes, pour l’instance cantonale, le pouvoir de contrôle de la banque excluait un pouvoir de disposition de l’employée, ce qui excluait à son tour un abus de confiance.

La banque n’est pas du même avis et considère que sa secrétaire de direction a pu utiliser sa carte professionnelle pour ses dépenses privées sans autorisation préalable, de sorte qu’elle était bel et bien au bénéfice d’un pouvoir de disposition matériel. À chaque dépense, une créance en remboursement naissait à l’encontre de la banque, ce qui lui causait un dommage indépendamment de tout contrôle postérieur des relevés.

Le TF se laisse convaincre par l’argumentation de la banque. Après un bref rappel sur le rapport tripartite qui se noue par l’utilisation d’une carte de crédit (vendeur, émetteur de carte et acheteur), il constate que l’employée a pu utiliser sa carte sans autorisation préalable, de manière à obliger la banque auprès de tiers pour chacune de ses dépenses privées, contrairement au règlement d’utilisation.

Dans la mesure où il n’existait aucun contrôle en amont, puisque la carte de crédit permettait à la secrétaire de direction d’épuiser la limite de crédit de manière indépendante, le TF considère que cette dernière s’est bien vu octroyer un pouvoir de disposition au sens de l’art. 138 CP. Le processus de contrôle en aval ne limite pas ce pouvoir de disposition matériel.

Le TF en conclut que des valeurs patrimoniales ont bel et bien été confiées, puis utilisées sans droit, à savoir en violation de la destination fixée en vertu du rapport de confiance. L’employée doit donc être reconnue coupable d’abus de confiance.

Au vu de cette condamnation, le TF admet également le recours de la banque sur la question du renvoi à agir par la voie civile. Lorsqu’il rend un verdict de culpabilité, le juge pénal doit en effet statuer sur les conclusions civiles si celles-ci sont suffisamment chiffrées et motivées (art. 126 al. 1 let. a et al. 2 let. b CPP), ce qui est le cas en l’espèce.

L’arrêt 6B_701/2020 s’inscrit selon nous dans la droite ligne de la jurisprudence du TF en matière d’abus de confiance. Depuis de nombreuses années, le TF admet qu’une valeur patrimoniale puisse être « confiée » au sens de l’art. 138 CP même si le lésé conserve son propre pouvoir de disposition (cf. p. ex. ATF 119 IV 127 en matière de procuration sur un compte bancaire).

Dans un arrêt de 2018 (6B_382/2017), le TF avait par ailleurs confirmé la condamnation pour abus de confiance d’un employé qui avait utilisé une carte bancaire octroyée par son employeur à des fins privées.

Que l’on considère – comme le TF – que le dommage survient au moment où la carte est utilisée pour une dépense privée, ou alors au moment où l’employée omet de mettre en évidence les opérations pertinentes pour le contrôle de son supérieur, il faut en tout état admettre que celle-ci avait la faculté de disposer des valeurs sans le concours de la banque, de sorte que ces valeurs devaient être considérées comme confiées au sens de l’art. 138 CP.