Trading e-forex
La fin du taux plancher et le stop-loss inexécuté
Célian Hirsch
Le client qui trade en ligne est-il un consommateur ? La banque qui ne peut pas exécuter immédiatement un ordre stop-loss lorsque le marché est illiquide est-elle responsable des pertes subies par le client ? Dans l’arrêt 4A_54/2021, le Tribunal fédéral se penche sur ces deux questions, mais n’en tranche qu’une seule.
En 2014, un client avec une certaine expérience dans le domaine financier utilise la plateforme informatique d’une banque vaudoise afin de spéculer sur la variation du cours EUR/CHF.
Le contrat e-forex, qui doit être accepté afin d’accéder à la plateforme, prévoit à son art. 4.13/iv ce qui suit :
« Vous reconnaissez et acceptez que dans certaines conditions de marché, il sera difficile, voire impossible d’exécuter des ordres à un prix déterminé ou de liquider certaines positions, d’estimer un prix juste ou acceptable et d’estimer l’exposition au risque. Cela peut notamment arriver lorsque le marché est illiquide ou lors d’une défaillance de système électronique ou de télécommunications ou dans un cas de force majeure. Le fait de placer un ordre de type « Stop-loss » ne garantit pas nécessairement une limitation du risque car, dans certaines conditions de marché, votre ordre ne pourra pas être exécuté. »
Le 8 janvier 2015, le client donne un ordre stop-loss au cours de 1.194 afin d’assurer sa position consistant en l’achat de 2’000’000 EUR/CHF au cours de 1.204119.
Le 15 janvier à 10h30, la BNS annonce qu’elle abandonne le taux plancher CHF/EUR. Cela provoque un vent de panique et rend le marché CHF/EUR illiquide. La banque vaudoise suspend le négoce pendant près d’une heure. Lorsqu’il reprend, à 11h35, la position du client est automatiquement liquidée à des cours nettement inférieurs (environ à 1.04) à celui auquel elle avait été acquise (1.204119). Le client se retrouve alors avec un solde négatif de CHF 287’641.95.
La banque ouvre action en paiement contre le client auprès de la Chambre patrimoniale du canton de Vaud. Elle dépose notamment une expertise judiciaire réalisée dans une procédure parallèle relative aux événements lors de l’abandon du taux plancher par la BNS.
Tant la Chambre patrimoniale que le Tribunal cantonal, sur appel du client, admettent la demande de la banque. Selon les instances cantonales, le client a accepté le contrat e-forex, celui-ci permet à la banque de ne pas exécuter un ordre stop-loss dans certaines conditions du marché (art. 4.13/iv. du contrat) et cette clause contractuelle n’est pas abusive au sens de l’art. 8 LCD (HC/2020/857).
Dans son recours auprès du Tribunal fédéral, le client soutient notamment (1) qu’il n’a jamais accepté le contrat e-forex, (2) que son ordre stop-loss aurait dû être exécuté avant la suspension par la banque du négoce et (3) que la clause 4.13/iv. du contrat serait nulle car contraire à l’art. 8 LCD.
Concernant le premier volet, la banque a livré aux experts un extrait du code informatique relatif à la vérification de l’acceptation des 13 chapitres des clauses contractuelles. Sur cette base, l’expertise a constaté que l’accès à la plateforme informatique de la banque ne pouvait se faire sans que l’utilisateur eût accepté au préalable le contrat e-forex en s’inscrivant sur la plateforme.
Le Tribunal fédéral rappelle que certains légers doutes peuvent subsister même lorsque la preuve stricte est exigée. En l’espèce, même si l’appréciation par l’expertise de la conclusion informatique du contrat ne se rapportait pas au cas spécifique, le Tribunal fédéral considère dénué d’arbitraire la constatation de l’acceptation par le client du contrat e-forex.
Concernant le grief du client relatif à l’inexécution de son ordre stop-loss avant que le marché devienne illiquide, le Tribunal fédéral procède à un examen précis du rapport d’expertise. Il souligne la distinction entre le déclenchement de l’ordre, soit au plus tôt lorsque le seuil est franchi, et son exécution, qui est nécessairement différée. L’exécution de l’ordre au seuil indiqué n’est ainsi pas garantie.
En l’espèce, la dernière cotation traitable (avant que le marché CHF/EUR devienne illiquide) avait un cours supérieur à l’ordre stop-loss du client. C’est ainsi à juste titre que la banque n’a pas exécuté cet ordre avant la suspension du marché en raison de son illiquidité.
Enfin, dans un dernier grief, le client soutient que la clause 4.13/iv. du contrat e-forex serait nulle en raison de l’art. 8 LCD. Cette disposition prévoit ce qui suit :
« Agit de façon déloyale celui qui, notamment, utilise des conditions générales qui, en contradiction avec les règles de la bonne foi prévoient, au détriment du consommateur, une disproportion notable et injustifiée entre les droits et les obligations découlant du contrat. »
Il existe une controverse doctrinale quant à l’interprétation du terme « consommateur ». Un courant soutient une interprétation restrictive, à savoir que ce terme ne vise que les prestations de consommation courante. Un autre courant préconise au contraire une interprétation plus large, selon le but de la norme et la systématique de la loi. La notion de consommateur ne serait alors pas restreinte aux prestations de consommation courante.
Le Tribunal fédéral reconnaît à ce second courant « une certaine consistance ». Cela étant, il laisse expressément ouverte cette « question délicate ». En effet, même si cette disposition venait à s’appliquer, la clause 4.13/iv. ne serait pas nulle. En particulier, le fait que le risque du marché illiquide soit assumé par le client, et non par la banque, ne permet pas de retenir « une disproportion notable et injustifiée » au sens de l’art. 8 LCD. Le Tribunal fédéral semble même aller dans la direction inverse :
« Le client qui, par des transactions sur devises, peut obtenir des profits vertigineux doit aussi assumer les risques proportionnels inhérents à cette forme de poker. »
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours du client.
Cet arrêt mérite deux brèves remarques.
Premièrement, il est intéressant de noter que la banque semble avoir prouvé la conclusion du contrat grâce à son code informatique, et non en prouvant la conclusion in casu du contrat.
Deuxièmement, le Tribunal fédéral se rapproche de l’interprétation large de la notion de consommateur, contrairement à l’appréciation retenue par le Tribunal cantonal vaudois. Cela permet ainsi aux clients des banques de garder une lueur d’espoir contre des conditions générales qui leur imposent de plus en plus d’obligations.