Procédure pénale
Réalisation anticipée de cryptoactifs séquestrés
Fabio Burgener
Dans un arrêt 1B_59/2021 du 18 octobre 2021 destiné à la publication, le Tribunal fédéral se prononce pour la première fois sur la procédure à suivre par les autorités pénales lors de la réalisation anticipée de cryptoactifs séquestrés.
Une procédure pénale est ouverte dans le canton de Zurich contre Alexis pour blanchiment d’argent (art. 305bis CP). En septembre 2019, le Ministère public séquestre des cryptoactifs du prévenu déposés auprès de B. SA en vue de leur confiscation. Une année plus tard, l’autorité de poursuite rend une ordonnance dont le dispositif est le suivant :
- Ordonne à B. SA de transférer les cryptoactifs sur le compte du Ministère public auprès de C. SA, après l’entrée en force du prononcé ;
- Charge C. SA de convertir les cryptoactifs en francs suisses et de transférer le produit de la vente sur le compte bancaire du Ministère public ;
- Ordonne le séquestre du produit net de la réalisation de la vente des cryptoactifs.
Le Tribunal fédéral est saisi d’un recours en matière pénale déposé par Alexis contre la décision – incidente – de l’autorité précédente confirmant l’ordonnance du Ministère public.
Concernant la qualité pour recourir, les juges fédéraux déduisent d’une analogie avec le titulaire d’un compte bancaire que le recourant, soit le titulaire des cryptoactifs à réaliser, a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation ou à la modification de la décision entreprise (art. 81 al. 1 let. b LTF).
Les autres conditions de recevabilité, notamment celle du risque d’un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), sont également remplies.
Sur le fond, il sied de rappeler que des valeurs patrimoniales sont susceptibles d’être séquestrées dans le cadre d’une procédure pénale, notamment en vue de leur confiscation (art. 263 al. 1 let. d CPP). Les valeurs cotées en bourse ou sur le marché peuvent être réalisées immédiatement selon les dispositions de la LP ; le produit est frappé de séquestre (art. 266 al. 5 CPP). Son sort est, en principe, réglé dans la décision finale (art. 267 al. 3 CPP).
La Haute Cour soutient que les intérêts de l’État et de la personne visée par le séquestre doivent être préservés au mieux par le Ministère public lorsque celui-ci ordonne une réalisation anticipée de valeurs patrimoniales séquestrées. L’objectif consiste à obtenir le meilleur produit possible suite à la réalisation.
Dans le cas d’espèce, les cryptoactifs séquestrés correspondent à une part importante sur le marché de chacun de ces actifs. Une vente « en bloc » de l’intégralité de ces avoirs pourrait ainsi conduire à une perte importante de leur valeur et a fortiori avoir un effet négatif sur le produit de la vente.
Le Ministère public ne pouvait donc pas, dans son ordonnance, laisser la manière dont les valeurs seront réalisées à la discrétion de C. SA.
Même si l’autorité précédente a tiré de deux courriels de C. SA qu’une vente « lente » et « sur plusieurs mois » serait appropriée et probablement le procédé choisi par cette société, elle a rejeté le recours et n’a ainsi pas réformé l’ordonnance du Ministère public en ce sens.
Partant, en raison de l’incertitude entourant les modalités de réalisation des valeurs patrimoniales séquestrées, la Haute Cour admet le recours et renvoie la cause au Ministère public.
Quatre enseignements en matière de réalisation anticipée de cryptoactifs peuvent être tirés des critiques du Tribunal fédéral aux autorités pénales zurichoises :
- La nature et les particularités des avoirs à réaliser doivent être prises en considération, notamment les conditions du marché.
- La protection des projets sous-jacents aux cryptoactifs ne figure pas au premier plan.
- Lorsqu’il est prévisible que la manière d’effectuer la réalisation anticipée aura une influence sur son résultat, le dispositif de l’ordonnance doit préciser le type et les modalités de réalisation.
- Un expert doit être nommé si l’autorité pénale ne dispose pas des connaissances nécessaires.