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Assistance administrative en matière fiscale

Doute sérieux sur l’identité de la personne visée

L’Inde adresse une demande d’assistance administrative à la Suisse. La requête concerne apparemment Alain. Ce dernier a perdu son père (feu Denis). Cette circonstance va être source de confusion : l’Inde s’intéresse-t-elle à Alain ou à l’hoirie de feu Denis ? Avant de creuser cette question, observons que trois comptes bancaires ont été identifiés comme pertinents en Suisse.

  • Alain et feu Denis furent cotitulaires du compte numéro 1.
  • La société « C. » est titulaire du compte numéro 2, dont Alain est l’ayant droit économique.
  • Le Trust « G. » est titulaire du compte numéro 3, feu Denis en était le settlor, Alain l’un des bénéficiaires.

Toujours à titre préalable, observons que le Tribunal fédéral se réfère, dans l’arrêt qui nous occupe (2C_901/2020 et 2C_903/2020 du 5 novembre 2021), au « bénéficiaire économique » des comptes, sans doute en raison de l’anglais beneficial owner. En matière d’identification du contribuable, nous préférons la notion d’« ayant droit économique » pour éviter la confusion avec celle de « bénéficiaire effectif », qui a trait à l’attribution du revenu. Cette remarque, d’ordre terminologique, n’a aucune incidence sur la résolution du litige. Revenons-y.

La demande, qu’il faut bien qualifier d’ambiguë, donne lieu à une procédure mouvementée : l’AFC rend une première décision finale favorable à l’Inde (i), qu’elle va révoquer (ii), avant de révoquer sa révocation (iii). Alain soutient mordicus qu’aucun contrôle fiscal n’a été ouvert contre lui en Inde. En somme, de deux choses l’une :

  • Soit la demande le vise et, dans ce cas, elle viole le principe de subsidiarité.
  • Soit la demande vise l’hoirie de feu Denis et, dans ce cas, elle viole le droit d’être entendu des hoirs.

Devant le TAF, Alain et consorts produisent un jugement de l’Income Tax Appelate Tribunal indien qui montre que la demande vise en réalité l’hoirie de feu Denis. Ce jugement a été rendu après la troisième décision finale de l’AFC. Le TAF examine donc cette pièce nouvelle, qu’il met en relation avec la demande, pour se convaincre que l’Inde vise les hoirs. Il procède alors à une substitution de personne concernée avant de retenir que seuls les renseignements présentant un lien avec l’hoirie de feu Denis remplissent la condition de la pertinence vraisemblable. Le recours est partiellement admis.

Ni Alain (et consorts) ni l’AFC ne se satisfait de cette décision. Ils recourent au TF qui reconnaît que le litige pose une question de principe. Le problème est de savoir si le TAF peut, après avoir remis en doute l’identité de la personne visée par la demande, lui en substituer une autre sans violer son droit d’être entendu.

Sur le plan formel, l’État requérant, qui satisfait aux exigences listées dans la CDI (art. 26 CDI CH-IN cum ch. 10 du Protocole), est réputé avoir fourni des informations suffisantes. Concrètement, la personne que vise la demande doit en particulier être celle qui fait l’objet d’une enquête dans l’État requérant. Ce dernier doit fournir cette information lorsqu’il sollicite l’entraide de sa contrepartie, car une demande d’assistance qui viserait une personne ne faisant pas l’objet d’une telle enquête ou d’un tel contrôle représenterait une pêche aux renseignements prohibée.

Autrement dit, le respect du principe de subsidiarité concrétise l’interdiction des fishing expeditions.

Nous savons que l’État requérant est présumé de bonne foi lorsqu’il indique l’identité de la personne qui fait l’objet d’un contrôle. Le principe de la confiance n’exclut pas pour autant que l’État requis demande des éclaircissements en cas de doute sérieux. Pour faire naître un tel doute, l’allégation de la personne visée est nécessaire, mais pas suffisante : celle-ci doit fournir des explications précises et convaincantes et étayer ses allégations au moyen des pièces.

Lorsqu’un doute sérieux subsiste malgré la demande d’éclaircissements, la demande doit être rejetée. Une substitution de personnes concernées en cours de procédure n’est pas concevable au nom du respect des droits de procédure complets de la nouvelle partie.

In casu, le jugement indien porte sur le même complexe de faits que la demande, relève le Tribunal fédéral. Ce jugement donne tort aux autorités indiennes sur la question de l’identité de la personne visée par la procédure fiscale. Tout en désignant Alain comme l’héritier légal de feu Denis, l’Inde a curieusement indiqué le numéro d’identification fiscale indien de l’hoirie de feu Denis dans sa demande. Ces éléments sont propres à faire naître un doute sérieux sur l’identité de la personne visée.

Le Tribunal fédéral juge ainsi, d’une part, que le recours de l’AFC est en partie bien fondé en tant que celle-ci reproche au TAF d’avoir modifié l’identité de la personne visée par la demande et restreint la transmission à l’autorité requérante aux seuls renseignements concernant l’hoirie de feu Denis. Il juge, d’autre part, que le recours d’Alain est en partie bien fondé en tant qu’il reproche au TAF d’avoir admis la transmission de renseignements concernant l’hoirie de feu Denis sans que celle-ci ait pu se déterminer.

On retiendra les éléments suivants de cette nouvelle décision de principe.

  • En cas de doute sérieux sur l’identité de la personne concernée, l’AFC ou le TAF doit demander un éclaircissement à l’autorité requérante.
  • Ni l’AFC ni le TAF ne peut procéder à une substitution des personnes concernées.
  • Si un doute sérieux subsiste malgré les éclaircissements, il faut rejeter la demande. Cela contraint ainsi l’État requérant à en déposer une nouvelle.

Il n’est pas rare en pratique que l’État de résidence s’adresse à la Suisse avant même d’avoir interrogé le contribuable qu’il vise. Cet empressement (ou ce choix tactique) est regrettable. La déclaration de respect du principe de subsidiarité n’est pas une pure formalité. L’assistance administrative vise à prolonger les moyens de récolte d’informations prévus par le droit interne, non à s’y substituer.