Légitimation active
Asset Purchase Agreement et action contre l’administrateur
Lukaz Samb
Dans l’arrêt 4A_36/2021 destiné à la publication, le Tribunal fédéral s’est penché sur la question de la légitimation active du créancier dans le cadre d’une action en responsabilité (art. 754 CO). Il s’est interrogé, à titre incident, sur les effets de la cession de créances et les conséquences qui en découlent pour le titulaire initial de la prétention.
Une société d’investissement à capital variable, sise aux Îles Caïmans, détient plusieurs sous-fonds. Ces sous-fonds sont autonomes, mais n’ont pas la personnalité juridique. Un de ces sous-fonds participe à des projets immobiliers en Afrique (ci-après : le sous-fonds).
En 2011, la société conclut un Administrative Services Agreement (ci-après : l’accord) avec une société de gestion suisse. Sur la base de cet accord, la société de gestion est nommée administratrice et chargée de la gestion du sous-fonds.
La même année, 25 unités du sous-fonds sont vendues à une Banque nationale étrangère africaine pour un montant de CHF 25’000’000.-. La Banque nationale étrangère s’exécute par l’intermédiaire de son représentant suisse.
En octobre 2015, le représentant suisse requiert du sous-fonds qu’il lui rembourse les parts sur la base d’un extrait de compte affichant un solde de CHF 26’727’154.58 au profit de sa cliente. La société de gestion confirme le remboursement, tout en indiquant qu’il sera retardé.
Plusieurs mois plus tard, le remboursement n’a toujours pas eu lieu. Le représentant suisse obtient donc une procuration de consultation afin d’examiner le compte bancaire du sous-fonds. À sa surprise, la banque lui indique qu’il manque environ CHF 26’000’000.- sur le compte. Le président du conseil d’administration de la société de gestion (ci-après : l’administrateur) aurait, durant plusieurs années, détourné les fonds investis dans le sous-fonds.
Le 7 juillet 2016, la société d’investissement conclut et signe un contrat d’achat d’actifs (Asset Purchase Agreement ; ci-après : APA) avec une filiale de la société de gestion portant sur toutes les unités du sous-fonds ainsi que sur les contrats et les droits en découlant. L’APA doit être exécuté le 18 juillet 2016 et serait motivé par le fait que la société de gestion craint que la société d’investissement ne se désolidarise d’elle.
Le 7 novembre 2017, la société d’investissement intente une action en responsabilité à l’encontre de l’administrateur auprès du Handelsgericht du canton de Zurich. Dans sa réponse, l’administrateur allègue que la société d’investissement ne dispose plus de la légitimation active. Selon lui, elle a cédé ses droits, notamment la prétention en responsabilité à son encontre, en concluant l’APA. La société d’investissement réfute cette allégation. Selon elle, l’APA ne porte que sur les prétentions contractuelles découlant de l’accord. Elle ajoute également que la cession ne serait pas valable faute de paiement du prix par la filiale.
Le Handelsgericht rejette les objections de l’administrateur quant à la légitimation active de la société d’investissement. Selon lui, les contrats et les prétentions cédés dans l’APA ne sont pas suffisamment déterminables. On ne peut donc conclure à la cession de la globalité des prétentions. Le Handelsgericht déboute ensuite la société d’investissement faute d’allégation de son dommage, motivant son recours devant le Tribunal fédéral.
Afin de se prononcer sur la légitimation active, le Tribunal fédéral isole la problématique de la cession de créances en vue d’en délimiter la portée. De ce fait, il met en suspens la question du paiement du prix comme condition suspensive à l’exécution de l’APA.
La procédure concerne une prétention en responsabilité fondée sur l’art. 754 CO pour des actes accomplis par l’administrateur sortant du champ de l’accord. Il s’agit donc d’une prétention extracontractuelle.
Selon le Tribunal fédéral, le transfert de la prétention relève de la cession de créances (art. 164 ss. CO). Afin de pouvoir valablement être cédée, cette prétention doit être suffisamment déterminable (art. 165 al. 1 CO).
En l’espèce, l’APA ne mentionne pas expressément les contrats et les droits qui doivent être cédés. L’objet principal de l’APA porte sur les « Purchased Assets », à savoir les 25’000 unités du sous-fonds.
À titre secondaire, le point 2.2 de l’APA intègre tous les contrats et les droits en rapport avec les unités soit « all contracts […] and rights thereunder ». Les prétentions contractuelles découlant de l’accord font ainsi partie de la cession. Notre Haute Cour ne reconnait pas encore, à ce stade, l’inclusion des prétentions extracontractuelles. Pour cela, elle revient sur le chiffre 2.1 selon lequel « all of Seller’s right », soit tous les droits de la venderesse en relation avec le sous-fonds, font également partie des éléments transférés.
Dans ce sens, l’APA prévoit un prix correspondant à la valeur réelle des unités du sous-fonds. Il faut dès lors partir du principe que les prétentions contractuelles et extracontractuelles sont couvertes. Si cela n’était pas le cas, des réserves auraient été prévues dans le contrat avec une imputation sur le prix de vente.
Ainsi, sans être expressément mentionnées, les prétentions contractuelles à l’encontre de la société de gestion et les prétentions extracontractuelles à l’encontre de l’administrateur sont suffisamment déterminables dans l’APA et valablement transférées à l’acheteur.
Partant, le Tribunal fédéral décide de renvoyer la cause à l’instance cantonale afin qu’elle se détermine sur la validité de la condition suspensive de l’APA et sur l’exécution de la cession.
Cet arrêt de notre Haute Cour nous rappelle que l’absence d’une mention claire et précise des prétentions cédées ne permet pas, de prime abord, de remettre en cause la validité de la cession. Il faut donc déterminer l’étendue des prétentions cédées au regard de la volonté des parties (art. 18 al. 1 CO).