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Droit d’accès

L’art. 8 LPD voit ses limites confirmées

En 2012, l’art. 8 de la loi sur la protection des données (LPD), qui permet d’avoir accès à ses données personnelles, était vu comme une potentielle « nouvelle arme » pour le client désirant obtenir des informations de sa banque (Fischer in cdbf.ch/821/). En 2020 et 2021, le Tribunal fédéral limitait expressément ce droit d’accès.

Dans l’arrêt commenté ici, la Cour de justice genevoise confirme les limites de l’art. 8 LPD, alors qu’une cliente tentait de s’en servir afin d’avoir accès à diverses informations détenues par sa banque (ACJC/562/2022 du 26 avril 2022).

Une femme, née en 1926 et domiciliée en Pologne, est cliente d’une banque suisse. Son mari et ses enfants, désormais décédés, sont également clients de la banque. En 2012, la cliente et ses enfants avaient notamment transféré leurs avoirs sur le compte d’une fondation, dont l’époux était settlor et la cliente et ses enfants bénéficiaires.

La succession d’un des fils, décédé en 2018, fait l’objet d’une procédure en Pologne, dans laquelle la cliente tente d’exclure une héritière nommée par testament.

Fin 2018, la cliente demande à la banque de recevoir une information complète la concernant directement et indirectement (en sa qualité de bénéficiaire de la fondation), tant sous l’angle du droit des successions que sous l’angle contractuel. La banque lui fournit diverses informations, mais lui indique ne pas pouvoir lui partager des informations concernant le compte de la fondation. En effet, même à supposer qu’elle y soit bénéficiaire, de telles informations sont protégées par le secret bancaire.

Changeant son fusil d’épaule, la cliente retourne vers la banque en invoquant l’art. 8 LPD pour obtenir ses données personnelles et l’art. 1 al. 7 OLPD pour obtenir les données des membres de sa famille décédés. Cette disposition prévoit que :

« La consultation des données d’une personne décédée est accordée lorsque le requérant justifie d’un intérêt à la consultation et qu’aucun intérêt prépondérant de proches de la personne décédée ou de tiers ne s’y oppose. Un intérêt est établi en cas de proche parenté ou de mariage avec la personne décédée ».

La banque lui transmet des rapports concernant tant ses données que celles des membres de sa famille, mais s’oppose à communiquer des informations concernant une entité tierce, sans être délié au préalable du secret bancaire.

Insatisfaite, la cliente saisit le Tribunal de première instance genevois d’une requête en droit d’accès fondé sur l’art. 8 LPD. Le Tribunal rejette sa demande, la considérant comme abusive. En effet, la cliente ne viserait pas à vérifier si le traitement de données opérées par la banque était licite au sens de la LPD.

Sur appel, la Cour de justice examine deux questions :

  1. Le droit d’accès exercé par la cliente constitue-t-il un abus de droit ?
  2. L’art. 1 al. 7 OLPD permet-il réellement d’avoir accès aux données des personnes décédées ?

La Cour de justice commence par rappeler les limites du droit d’accès, telle qu’exposées par le Tribunal fédéral dans l’ATF 138 III 425 (cf. Fischer in cdbf.ch/821/) et ATF 141 III 119 (cf. Richa in cdbf.ch/927). Il souligne que la portée du droit d’accès a été circonscrite plus récemment (ATF 147 III 139, cf. Fischer in cdbf.ch/1200/, et 4A_277/2020). En résumé, si la demande d’accès ne vise pas à vérifier le respect des normes de protection des données, elle peut être considérée comme abusive (art. 2 al. 2 CC).

En l’espèce, la cliente prétend que « sa demande d’accès ne vise pas exclusivement à obtenir des informations destinées à une autre fin que de faire valoir les droits prévus par la LPD puisqu’elle tend également à contrôler que le traitement de ses données et de celles des membres de sa famille ont (sic) été effectués (sic) en conformité avec la loi ».

La Cour de justice n’est pas convaincue par cet argument. Elle y voit qu’un prétexte soulevé afin de justifier la requête. En effet, la cliente avait initialement évoqué le droit des successions et le droit contractuel. Par ailleurs, la Cour note également l’ampleur de la documentation exigée et le fait que la cliente a demandé à la banque de lui fournir une déclaration de renonciation à se prévaloir de la prescription. La demande s’apparente à de la fishing expedition.

Étant donné qu’elle ne vise pas à vérifier le respect de la LPD, mais exclusivement à récolter des preuves afin d’évaluer les chances de succès d’une action contre la banque, la Cour déclare la requête d’accès abusive.

Dans un second temps, la Cour examine si la cliente pouvait bel et bien invoquer l’art. 1 al. 7 OLPD afin d’avoir accès aux données des membres de sa famille décédés. Une controverse doctrinale existe sur la validité de cette disposition. Alors que le Tribunal fédéral a laissé cette question ouverte, un arrêt zurichois a considéré que cette disposition était contraire à la LPD. En effet, la loi prévoit un droit d’accès uniquement pour ses propres données personnelles, et non celles de tiers.

La Cour de justice rejoint la jurisprudence zurichoise : l’art. 1 al. 7 OLPD est contraire à la LPD. Elle note en particulier que ce droit n’a volontairement pas été repris dans la nouvelle LPD adoptée en 2020 (mais pas encore en vigueur) et qu’il ne sera pas non plus inclus dans la nouvelle ordonnance.

Cet arrêt est convaincant, tant dans la qualification de la requête comme abusive que dans l’invalidité du droit d’accès aux données des personnes décédées.

Si un plaideur veut encore invoquer l’art. 8 LPD, il doit désormais expressément, et dès le début, alléguer un but lié à la protection des données. S’il reçoit les informations désirées, celles-ci peuvent, à notre avis, être considérées comme inexploitables dans une action judiciaire en dommages-intérêts (cf. art. 152 al. 2 CPC), puisqu’elles auraient été obtenues en violation du principe de la bonne foi.