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Faillite bancaire

L’intention dolosive et son caractère reconnaissable

Dans un arrêt 5A_13/2022, le Tribunal fédéral examine si le bénéficiaire de créances revendiquées – dans le cadre d’une faillite bancaire – aurait pu ou dû reconnaître l’intention dolosive de la banque en application de l’art. 288 LP.

Anne est cliente de la Banque Privée Espírito Santo (Suisse) SA sise dans le canton de Vaud. Cet établissement fait partie du groupe Espírito Santo, dont la famille d’Anne est une des familles fondatrices.

Dans le courant de l’année 2014, une société du groupe sise au Luxembourg connaît des difficultés financières pouvant avoir un impact significatif sur la banque privée, en raison de l’exposition de sa clientèle aux produits émis par cette société. Ces difficultés financières sont notamment relayées dans différents articles de presse.

Le 21 juillet 2014, la banque accepte une offre de reprise d’une partie de sa clientèle par une société tierce. Le lendemain, elle décide sa liquidation volontaire, laquelle est inscrite le 28 juillet 2014 au Registre du commerce du canton de Vaud. Anne est informée du transfert de sa relation bancaire à la société tierce. Par la suite, la FINMA retire les autorisations de la banque et prononce sa faillite.

Du 1er janvier 2014 jusqu’au 19 septembre 2014, Anne opère plusieurs transferts en faveur de différents destinataires et à un de ses comptes détenus auprès d’une autre banque, ainsi qu’à des conversions en espèces.

Anne décède en 2017. Le 31 janvier 2018, les membres de l’hoirie ouvrent une action en revendication (art. 20 al. 3 OIB-FINMA) devant la Chambre patrimoniale du canton de Vaud. Ils concluent à la distraction de la masse en faillite de la banque des valeurs déposées sur le compte de feu Anne ainsi que des montants en espèces provenant des valeurs. La masse en faillite soulève l’exception révocatoire s’agissant des transferts d’espèces et des conversions en titres ségrégables effectués du 1er janvier au 19 septembre 2014. Lors d’une audience, Marc, fils d’Anne et administrateur de la société luxembourgeoise de novembre 1994 à juillet 2014, indique notamment que sa mère n’avait pas de contact personnel et direct avec les dirigeants du groupe concernant les affaires, mais qu’il se pouvait qu’elle les croise à des événements. Il précise qu’elle avait toujours eu confiance dans la famille et dans sa façon de mener les affaires. Par la suite, la Chambre patrimoniale admet l’exception de révocation au sens de l’art. 288 LP et rejette la demande dans la mesure où la valeur des prétentions en revendication des membres de l’hoirie est inférieure à celle des actes révocables.

Les membres de l’hoirie font appel contre ce jugement devant la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois qui rejette l’appel. Ils forment alors un recours en matière civile contre cet arrêt, se plaignant de la violation de l’art. 288 al. 1 et 2 LP et d’arbitraire dans l’établissement des faits.

L’art. 288 al. 1 LP permet de révoquer les actes dolosifs du débiteur envers ses créanciers. Pour cela, les bénéficiaires de ces actes doivent avoir eu connaissance de l’intention dolosive du débiteur ou avoir pu ou dû reconnaître cette intention en usant de l’attention commandée par les circonstances. Le Tribunal fédéral précise que le caractère reconnaissable de l’intention dolosive ne doit pas être admis trop facilement. En effet, le devoir de se renseigner ne s’impose qu’en présence d’indices clairs.

Bien qu’il incombe au demandeur de prouver les faits sur lesquels le motif de révocation et le caractère reconnaissable de l’intention dolosive sont fondés, l’art. 288 al. 2 LP prévoit un renversement du fardeau de la preuve pour les créanciers bénéficiaires proches du débiteur. La question de la connaissance de l’intention dolosive est une question de fait, tandis que la question de son caractère reconnaissable est une question de droit.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral relève que l’intention dolosive de la faillie au moment des transferts de fonds et des conversions en espèces en titres pour le compte de la bénéficiaire n’est pas contestée. Dès le 14 avril 2014, la position financière de la banque était sérieusement compromise compte tenu des graves problèmes financiers du groupe.

Le Tribunal fédéral analyse ensuite la question de savoir si Anne pouvait ou devait reconnaître l’intention dolosive et si elle connaissait effectivement cette intention. Il précise aussi que le fait pertinent est de savoir si l’information de la débâcle du groupe était connue et accessible, et non si Anne avait effectivement pris connaissance des articles de presse.

Selon l’appréciation des premiers juges – confirmé par le Tribunal cantonal – Anne pouvait et devait connaître les difficultés financières rencontrées par le groupe et la banque. Dès le 23 juillet 2014, elle avait connaissance de cette situation compte tenu de l’ordre de virement de EUR 1’200’000 opéré le lendemain de la parution d’un article de presse annonçant que la crise du groupe touchait la Suisse et des courriers de la banque l’informant du transfert de sa relation bancaire à une société tierce. De plus, elle aurait pu et dû connaître la situation financière de la banque en raison de la parution des articles de presse et de ses liens familiaux avec les dirigeants de la banque.

Partant, le Tribunal fédéral écarte le grief sur l’arbitraire et rejette le recours.

Cet arrêt met en évidence le devoir accru de se renseigner pour le créancier dans le cadre d’une faillite d’un parent ou d’une personne proche. L’art. 288 al. 2 LP met le créancier dans un choix délicat, soit il ne se renseigne pas, soit il se renseigne. Le premier choix l’expose au grief qu’il aurait pu et dû reconnaître cette intention sans avoir de preuves pour renverser la présomption légale. Le deuxième choix peut permettre au créancier de prouver qu’il ne pouvait pas reconnaître l’intention dolosive ou, à l’inverse, relever qu’il connaissait effectivement cette intention.