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Action civile adhésive à la procédure pénale

Exclusion des prétentions contractuelles et interruption de la prescription

La fin de l’été a été marquée par deux arrêts du Tribunal fédéral destinés à publication concernant les prétentions civiles par adhésion à la procédure pénale (6B_1310/2021, résumé in Lawinside.ch/1231 et 4A_417/2021, commenté in Lawinside.ch/1232). Ces jurisprudences présentent une importance pratique en matière de litiges bancaires, où se pose régulièrement la question du choix de la procédure à entamer par les clients pour faire valoir leurs prétentions civiles contre une banque et ses employés.

La Cour de droit pénal a d’abord jugé que la notion de « conclusions civiles » de l’art. 122 al. 1 CPP englobe uniquement les prétentions de droit privé qui peuvent se déduire d’une infraction pénale (not. art. 41 ss CO), à l’exclusion de celles contractuelles.

A titre d’exemple, en cas de violation d’un mandat de gestion de fortune, constitutive de gestion déloyale (art. 158 CP), le mandant pourra, dans une procédure pénale, uniquement faire valoir des prétentions de nature délictuelle contre le prévenu. Même si elles concernent des faits identiques ou étroitement liés à ceux figurant dans l’acte d’accusation, les prétentions fondées sur le contrat de mandat devront nécessairement faire l’objet d’une procédure civile.

La Ière Cour de droit civil a ensuite retenu que le délai de prescription d’une action contractuelle ne peut pas être interrompu par une déclaration de participation à la procédure pénale comme demandeur au civil (art. 119 al. 2 let. b CPP ; cf. art. 135 ch. 2 CO). En revanche, elle indique laisser ouverte la question de savoir si et quand les conclusions d’une action civile adhésive, pendantes dès que le lésé a fait valoir des conclusions civiles en vertu de l’art. 119 al. 2 let. b CPP (art. 122 al. 3 CPP), doivent être chiffrées et motivées pour entraîner l’interruption de la prescription.

La Cour de droit pénal dans un obiter dictum (6B_321/2014), quelques tribunaux cantonaux (GE, FR et BL) et la majorité de la doctrine soutiennent, à juste titre, qu’une action civile, même non chiffrée, suffit à interrompre la prescription.

L’arrêt susmentionné de la Ière Cour de droit civil contient toutefois quelques éléments qui laissent penser que celle-ci pourrait à l’avenir retenir la solution contraire :

  1. Après avoir rappelé que le catalogue des actes interruptifs de prescription énumérés à l’art. 135 ch. 2 CO est exhaustif, les juges fédéraux indiquent que « la déclaration de participation à la procédure pénale comme demandeur au civil (art. 118 al. 1-2 et 119 al. 2 let. b CPP) n’y figure pas ».
  2. Ils soulignent aussi que, pour interrompre la prescription, il est nécessaire que « la créance invoquée soit individualisée par son fondement (complexe de faits ; Entstehungsgrund) et que son montant soit chiffré, à moins que l’action en paiement non chiffrée ne soit admissible en vertu de l’art. 85 CPC  ».

A notre sens, la première citation ne doit pas être interprétée comme signifiant qu’une déclaration de participation à la procédure pénale comme demandeur au civil ne peut en aucun cas interrompre la prescription civile. Elle doit plutôt être comprise dans le sens que cette simple déclaration de volonté ne suffit pas. Combinée avec la seconde citation, le Tribunal fédéral semble indiquer entre les lignes que seule une action civile adhésive chiffrée (sous réserve des cas où les conditions de l’art. 85 CPC seraient remplies ?) et sommairement motivée interromprait la prescription.

Ce commentaire propose de s’intéresser à quelques conséquences pratiques (de loin pas exhaustives) qui découleraient de cette solution s’agissant de l’interruption de la prescription dans un litige bancaire notamment.

Si la déclaration de partie plaignante doit nécessairement intervenir avant la clôture de la procédure préliminaire (art. 118 al. 3 CPP), la partie plaignante a toutefois la possibilité de chiffrer et motiver ses conclusions civiles jusqu’aux plaidoiries (art. 123 al. 2 CPP). En pratique, cette marge de manœuvre permet au client lésé de procéder, dans un premier temps et dans le but d’interrompre la prescription civile, à un chiffrage à hauteur du montant maximal qui pourrait entrer en considération et à une motivation se limitant à un bref exposé du complexe de faits. Dans un second temps et jusqu’aux plaidoiries, le client a ensuite la possibilité de modifier ses conclusions civiles et de procéder (i) à leur chiffrage exact, (ii) à leur motivation sous la forme d’un exposé détaillé des faits sur lesquels elles se fondent et (iii) à l’indication précise des moyens de preuve invoqués.

Une action civile chiffrée et brièvement motivée n’interromprait toutefois la prescription que pour les prétentions civiles qui peuvent faire l’objet d’une action civile adhésive. S’agissant des prétentions contractuelles fondées ou non sur le même complexe de faits que celui faisant l’objet de l’action adhésive, le client devra interrompre la prescription au moyen d’un autre acte interruptif mentionné à l’art. 135 ch. 2 CO.

Même dans le cas d’un complexe de faits identique revêtant des fondements délictuel et contractuel (concours objectif d’actions), le client qui entend interrompre la prescription de l’action contractuelle par une demande en justice ne devrait pas se voir opposer l’exception de litispendance en raison d’une action civile adhésive pendante, forcément limitée à l’action délictuelle (art. 64 al. 1 let. a et 59 al. 2 let. d CPC ; cf. ATF 139 IIII 126).

Au vu de l’incertitude relative à ce point, le client prudent devrait néanmoins privilégier une réquisition de poursuite pour interrompre la prescription de l’action contractuelle. Il ne perd alors rien à indiquer dans la case réservée à la « cause de l’obligation » que le fondement de sa créance est tant de nature contractuelle que délictuelle.