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Blanchiment d’argent

Obtention frauduleuse d’un crédit COVID

L’obtention frauduleuse d’un crédit COVID peut-elle entraîner des conséquences pénales et, le cas échéant, lesquelles ? Dans l’arrêt 6B_295/2022, le Tribunal fédéral confirme la condamnation du chef de blanchiment d’argent d’un entrepreneur un peu trop gourmand. Cet arrêt permet également d’évoquer les autres infractions pénales susceptibles d’entrer en considération.

Rapide (re)mise en contexte avant d’aborder l’arrêt qui nous intéresse : en mars 2020, la pandémie COVID-19 frappe de plein fouet. Pour venir en aide aux entreprises touchées par cette crise, le Conseil fédéral adopte le 25 mars 2020 l’ordonnance sur les cautionnements solidaires liés au COVID-19 (« OCaS-COVID-19 » ; cf. cdbf.ch/1119). Celle-ci permet un accès rapide et sans formalités excessives à des crédits (« crédits COVID ») sur la base de déclarations formelles standardisées du demandeur. Les liquidités obtenues doivent ensuite exclusivement servir à la poursuite de l’activité commerciale.

En avril 2020, un entrepreneur prétendument actif dans le domaine de la location de voitures adresse à une banque un formulaire idoine sollicitant un crédit COVID. Celui-ci mentionne notamment un chiffre d’affaires de CHF 950’000. Le jour même, la banque lui verse CHF 95’000, soit 10 % du chiffre d’affaires conformément à l’OCaS-COVID-19.

La banque réalise la supercherie dans les semaines qui suivent. L’entrepreneur tente effectivement de démarrer une activité indépendante de location de voitures. Cela étant, il n’a jamais tenu la moindre comptabilité ; le chiffre d’affaires avancé est inventé de toutes pièces. La quasi-totalité du prêt obtenu a par ailleurs été utilisée de manière illégitime à des fins privées. Plus précisément, l’entrepreneur a retiré environ CHF 65’000 en espèces pour rembourser diverses dettes privées.

Le Tribunal de police lausannois condamne l’entrepreneur pour faux dans les titres (art. 251 CP), escroquerie (art. 146 CP) ainsi que blanchiment d’argent (art. 305bis CP). Le jugement ayant été confirmé en appel, l’entrepreneur recourt au Tribunal fédéral et conteste sa condamnation pour blanchiment d’argent. Il estime en effet n’avoir pas commis d’acte d’entrave. Il ne s’oppose toutefois plus à sa condamnation des chefs de faux dans les titres et d’escroquerie.

Le Tribunal fédéral balaye intégralement les arguments du recourant. Le prélèvement de valeurs patrimoniales en espèces constitue un acte de blanchiment d’argent usuel visant à rompre le paper trail. En l’occurrence, les retraits effectués par l’entrepreneur étaient propres à faire obstacle à la confiscation du montant en cause. Sur le plan subjectif, celui-ci savait qu’il n’avait pas le droit au crédit COVID obtenu et s’est à tout le moins accommodé du fait que les retraits en espèce étaient susceptibles d’entraver la mainmise des autorités pénales.

Partant, le Tribunal fédéral confirme la condamnation du chef de blanchiment d’argent.

Cet arrêt rappelle que l’obtention frauduleuse d’un crédit COVID peut entraîner de lourdes conséquences pénales. Celles-ci n’étant plus contestées in casu, le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé sur les condamnations des chefs de faux dans les titres et d’escroquerie. Sur ces deux infractions, le Tribunal cantonal vaudois avait admis dans son arrêt que le formulaire idoine sollicitant un crédit COVID constituait un titre à valeur probante accrue et avait retenu que l’entrepreneur avait astucieusement trompé la banque en utilisant ce faux. La démonstration juridique du Tribunal cantonal ne prête, à notre sens, pas le flanc à la critique. Dans la même veine, un récent arrêt genevois confirme une condamnation pour faux dans les titres et escroquerie à la suite de l’obtention frauduleuse d’un crédit COVID.

Le cas de notre entrepreneur n’est de loin pas un cas isolé. Selon les statistiques publiées sur site du DFF, le SECO relate en effet encore plus de 1’800 cas d’abus non clôturés ayant fait l’objet d’une dénonciation pénale. Il y a donc fort à parier que l’arrêt commenté ne sera pas le dernier se rapportant à une obtention frauduleuse d’un crédit COVID.