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Responsabilité de la banque

L’art. 305bis CP comme norme de protection (en droit civil), des précisions bienvenues du Tribunal fédéral

Dans quelle mesure une banque peut-elle être responsable du comportement frauduleux d’un pseudo-gérant de fortune indépendant à l’égard des clients de ce dernier lorsqu’ils n’ont aucun lien contractuel avec la banque (TF 4A_603/2020 du 16 novembre 2022) ?

En 1999, un intermédiaire financier ouvre un compte à son nom auprès d’une banque suisse. Il ouvre ensuite un compte au nom de sa société, en 2004. Il déclare être l’ayant droit économique des valeurs patrimoniales déposées. Les comptes seraient destinés uniquement à recueillir les commissions issues de son activité professionnelle, à l’exclusion d’avoirs de clients. En réalité, l’intermédiaire financier faisait miroiter des rendements annuels très élevés à ses clients, et utilisait frauduleusement l’argent confié par les nouveaux clients et qu’il déposait sur les deux comptes pour payer d’autres clients (Ponzi scheme).

L’intermédiaire financier décède en 2007, ce qui met fin à une procédure pénale à son encontre. En 2014, les clients déposent plainte pénale contre la banque. Cette procédure est classée l’année suivante en raison de la prescription. Les clients ouvrent alors une procédure civile contre la banque. Ils sont déboutés en première instance, mais suivis en appel.

Saisi d’un recours de la banque, le Tribunal fédéral analyse la responsabilité de la banque sous l’angle délictuel, vu l’absence de relation contractuelle avec les clients.

La responsabilité délictuelle de la banque peut être envisagée sous deux volets : (i) responsabilité pour les actes illicites des organes (art. 55 CC cum art. 722 CO) et (ii) responsabilité de l’employeur (art. 55 CO cum art. 41 CO).

Le premier chef de responsabilité possible est d’emblée écarté en l’espèce : « [à] aucun moment il n’a été question d’organes fautifs », relève le Tribunal fédéral.

Selon l’art. 55 CO, la responsabilité civile d’une personne morale (la banque dépositaire) peut être engagée si un de ses employés a commis un acte illicite dans l’accomplissement de son travail, à moins que la personne morale ne prouve qu’elle avait pris toutes les mesures pour éviter le dommage (respect des trois curae : choix, instruction et contrôle).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, lorsque le demandeur (les clients) requiert une indemnisation pour atteinte à son patrimoine en lien avec un acte illicite (illicéité de comportement), il doit démontrer qu’une norme visant spécifiquement à protéger son patrimoine a été violée.

In casu, le Tribunal fédéral doit déterminer si une infraction de blanchiment d’argent (art. 305bis CP) a été commise, la jurisprudence ayant retenu que cette disposition constitue une norme de protection pour le patrimoine des lésés de l’infraction préalable au blanchiment d’argent (les clients, ATF 129 IV 322).

Le blanchiment d’argent peut être commis par omission si l’auteur de l’infraction avait une obligation juridique d’agir en raison de sa position de garant. Par exemple, la LBA impose une obligation à la banque (intermédiaire financier au sens de la LBA) de clarifier l’ayant droit économique (art. 6 LBA) ou de communiquer ses soupçons fondés au MROS (art. 9 LBA). Une infraction de blanchiment d’argent par omission peut donc être reprochée à une banque qui, en qualité de garant, viole ses obligations découlant de la LBA.

En deuxième instance, la cour cantonale avait estimé que le comportement de la banque pouvait être qualifié de blanchiment d’argent par omission et par dol éventuel, la banque ayant omis de clarifier l’arrière-plan d’une relation d’affaires pourtant inhabituelle. Par conséquent, un acte illicite devait être retenu à charge de la banque et donc une responsabilité civile de cette dernière à l’égard des clients lésés par l’infraction préalable.

Le Tribunal fédéral adopte une position différente en rappelant que ce n’est pas le comportement de la banque qui doit être analysé, mais le comportement intentionnel d’un employé spécifique de la banque. L’art. 55 al. 1 CO concerne en effet l’acte illicite d’un employé. Les clients doivent ainsi apporter la preuve qu’un ou plusieurs employés spécifiques se sont rendus coupables de blanchiment d’argent, en l’occurrence par omission. La difficulté est double : il faut pouvoir reprocher – via une norme d’imputation  – à une ou des personne(s) déterminée(s) d’avoir violé les devoirs de la LBA qui s’appliquent à la banque (intermédiaire financier au sens de la LBA). Il faut en outre prouver leur intention délictueuse (le dol éventuel étant suffisant).

Le Tribunal fédéral rappelle à cet égard que l’art. 29 CP trace un cercle limité de personnes physiques auxquelles l’on peut reprocher d’avoir enfreint un devoir particulier incombant à la personne morale (ici des devoirs que la LBA imposait à la banque). Ce cercle comprend par exemple la personne physique qui agit en qualité (i) d’organe, (ii) de dirigeant effectif ou (iii) de collaborateur disposant d’un pouvoir de décision indépendant dans un secteur d’activité.

Le Tribunal fédéral juge que, sur la base des éléments du dossier, aucune infraction de blanchiment d’argent ne peut être imputée à un employé spécifique car (i) les personnes concernées n’entrent, à priori, pas dans le champ d’application de l’art. 29 CP et (ii) aucune intention délictueuse ne peut être retenue.

Le Tribunal fédéral rejette donc la prétention des clients contre la banque.

On retiendra ainsi que le client qui poursuit la banque en dommages-intérêts pour blanchiment d’argent par omission ne peut pas se contenter d’alléguer que le comportement de la banque dans sa globalité constituerait un acte de blanchiment. Il doit prouver une infraction de blanchiment à charge d’une personne physique déterminée, typiquement un employé « disposant d’un pouvoir de décision indépendant dans le secteur d’activité dont il est chargé » (art. 55 CO cum 29 CP) ou un organe (art. 55 CC).

L’issue de l’affaire portée devant le Tribunal fédéral aurait sans doute été différente si le dossier permettait de démontrer un comportement pénalement relevant d’un employé en particulier, pour autant que cet employé tombe dans le cercle des personnes visées par l’art. 29 CP. A cet égard, le fait qu’aucune instruction pénale n’ait été menée à terme en raison du décès de l’intermédiaire financier et de la prescription de l’action pénale a probablement grandement compliqué la tâche des clients.